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TABLE DE PEUTINGER
Carte itinéraire de l'empire romain


L. ARIES
          Badera, nom antique de Baziège, figure sur la copie réalisée au XIII e siècle de la plus ancienne carte itinéraire de l'Empire romain, copie appelée Table de Peutinger.

Historique
          Le denier propriétaire de cette carte, Konrad Peutinger, en avait hérité en 1508. Elle avait été retrouvée à la fin du XVème siècle à Worms (Allemagne) par Konrad Celtes, célèbre humaniste et bibliothécaire de l'empereur germanique Maximilien I. Par testament, cet humaniste légua le manuscrit au greffier municipal d'Augsbourg Konrad Peutinger, qui devint le deuxième propriétaire.

          La Table de Peutinger est une copie médiévale d'un document antique. Cette copie aurait été réalisée vers la fin du XIIIème siècle par un moine de Colmar ; les forêts des Vosges et la Foret Noire sont particulièrement bien dessinées et les vignettes représentant Rome, Constantinople et Antioche sont traitées à la manière des missels médiévaux.

          Quand au document antique, la carte originale, hélas perdue, aurait été réalisée au quatrième IVème siècle, probablement par Castorius (géographe et philosophe romain), à la demande du général romain Théodose l'Ancien ; cette carte est aussi connue sous le nom de carte Théodosienne. Ce général qui avait organisé la défense du littoral Gaules, repoussé les barbares aux frontières, restauré le mur d'Hadrien, à la veille des grandes invasions avait senti la nécessité de disposer de cartes routières précises. Castorius aurait réalisé cette carte à partir d'une grande carte du monde peinte sur le portique d'Agrippa à Rome vers l'an 12, en la remettant à jour.

Description générale
          A l'origine la table de Peutinger est un rouleau de parchemin (6,75 x 0,34 m) constitué de 12 parties (peaux) cousues ensemble. La première partie de la carte qui a servi de couverture au rouleau, endommagée par usure, a disparu. A l'heure actuelle les 11 parties restantes ont été séparées pour faciliter leur préservation et conservées à la Bibliothèque Nationale de Vienne (Autriche).

          Ce format s'explique par sa fonction de carte routière donnant itinéraires et distances, facilement transportable par n'importe qui, militaire ou autre. On estime à plus de 200 000 km la distance représentée. Dans cette idée, la lecture de la table s'effectue sur une base horizontale linéaire ; la représentation de l'empire a été pressé et rallongé. Etant une carte routière et non une carte précise, tout ce qui n'était pas important pour le visiteur comme les mers, montagnes, forêts et déserts a été réduit au strict minimum.

          La Table embrasse la totalité du monde antique connu par les romains depuis l'Angleterre jusqu'aux bouches du Gange. L'auteur a renoncé à une projection géographique correcte. La Table n'a donc pas d'échelle. L'intérêt de la table réside dans les représentations figurées le long des routes et dans les indications écrites. Il s'agit d'une carte en couleur :
jaune pour la terre,
rouge pour les principales routes,
vert pour mer lacs et fleuves,
jaunâtre gris et rose pour les montagnes
          La table de Peutinger était le "Guide Michelin" de l'époque, elle indique aux voyageurs le nom des stations (lieux d'hébergement possibles), la distance qui les sépare et leur confort. En Narbonnaise, les distances sont indiquées en mille romain, mille pas (double pas = 1,482 mètre) soit 1,482 km. Pour le reste de la Gaule, les distances sont indiquées en lieues (2,22 km). En Perse, les distances sont en parasanges (6,400 km) et en Grèce l'unité valait 5 km.

          Les stations principales sont indiquées par des vignettes représentant des bâtiments avec piscine ou deux tours ou encore un temple. Ces vignettes indiquent l'édifice remarquable et les possibilités d'hébergement. En tout, 555 vignettes pour la totalité du monde connu par les romains. Ainsi les stations les plus fameuses, où un grand confort attendait le voyageur, sont indiquées par un bâtiment avec au centre une piscine ; il s'agit généralement de toponymes en aquae. Les stations à "deux tours" présentaient un confort moindre. Quant aux stations les plus modestes, elles sont mentionnées par un coude (ligne brisée) et seul leur nom figure.

          Trois villes ont mérité de la part du dessinateur une attention toute particulière, à la manière des missels médiévaux. Sur la vignette de Rome, la déesse Roma apparaît au centre de toutes les principales routes. Pour Constantinople (Byzance, Istanbul) la vignette représente la divinité de la ville qui indique du doigt la colonne élevée par Constantin pour sa ville nouvelle. La vignette d'Antioche est la plus grande et la mieux décorée ; Antioche servait parfois de résidence aux empereurs romains.

          L'analyse paléographique de la carte montre qu'elle a pu être remaniée (actualisée) ou rajeunie à l'époque médiévale. Par exemple les vues aériennes (vol d'oiseau) des 3 principales villes, Rome Antioche et Constantinople correspondent au XI, XII ou XIIIèmes siècles.

          La conquête romaine nécessitant des axes de circulation rapides et sûrs et la colonisation exigeant des axes de circulation favorisant les échanges à longue distance, l'époque gallo-romaine vit la multiplication des voies de communication ou la restructuration du réseau routier ancien et leur entretien régulier ; par ailleurs un réseau local dense fut maintenu. Voies terrestres et fluviales furent concernées par cet effort de création et d'entretien du réseau.

La Gaule
           La première portion de la carte, hélas disparue, représentait l'Islande, l'Irlande, l'Angleterre centrale et méridionale, l'Espagne et l'Afrique occidentale du Nord (Maroc). C'est sur la deuxième portion, devenue maintenant la première, que figure la partie Ouest de la Gaule (majeure partie de la Gaule en superficie), l'autre partie étant sur la troisième page. La nouvelle première page servant à son tour de couverture, est très endommagée, les couleurs ont fanés, certains mots sont effacés, si bien que de Badera seule subsiste les 3 premières lettres BAD : c'est la mention la plus ancienne que l'on connaisse de Baziège. Compte tenu de la mauvaise lisibilité de la Table de Peutinger due à son vieillissement, nous donnons ci-dessous une copie plus récente de cette Table.

          Sur cette première partie de la Table de Peutinger, de haut en bas sont représenté: le Rhin, la Meuse, la Somme avec Amiens (Samarobriva 2 tours,), la Seine avec Paris (Luteci, sans vignette), la Loire, la Garonne et les Pyrénées.

          En ce qui concerne le Midi de la France, Toulouse, Agen, Cahors et Rodez apparaissent comme des nœuds routiers importants. Toulouse en particulier est au départ de 4 voies importantes:
- vers Carcassonne et Narbonne
- vers Cahors, Rodez et Lyon ou Lodève (vers le littoral méditerranéen)
- vers Agen et Bordeaux par Lectoure (Lactora)
- vers Auch
La route des Pyrénées n'est pas mentionnée. A cause de l'importance du trafic qui devait avoir lieu par voie fluviale (Garonne et Ariège), le réseau routier vers les Pyrénées ne devait pas être très développé.

De Toulouse à Narbonne
          Sur la voie d'Aquitaine (Via Aquitania), Toulouse et Narbonne sont mentionnées chacune par 2 tours. Entre ces deux stations relativement importantes, 6 stations permettaient une halte mais aucune ne "méritait d'étoile" et ne présentait donc pas de vignette. Une vingtaine de kilomètres séparait chaque station, distance que les voyageurs parcouraient raisonnablement en une journée.

          En partant de Tolosa (Toulouse, le voyageur pouvait faire une première halte à Badera (Baziège) après XV milles selon la Table, soit 22,5 km. La borne milliaire qui est conservée dans l'église Saint Etienne porte bien la distance XV milles comme indiqué par la Table. Cette borne datée du tout début de quatrième siècle serait donc contemporaine de la Table de Peutinger et probablement son aînée de quelques dizaines d'années.

          La seconde halte se faisait à Fines (limite) après XIX milles (près de Castelnaudary). Cette station était aux environs de la ferme des Pesquiès sur la commune de Ricaud, à quelques kilomètres à l'ouest de Castelnaudary. Elle était à la limite des citées de Toulouse et de Carcassonne. Les vestiges archéologiques trouvés en ce lieu corroborent cette hypothèse.
          Elusio au col de Naurouze, cité par Cicéron dans sa plaidoirie pour défendre le gouverneur de la province Fonteius en - 69, accusé par les Gaulois de prélever une taxe outrancière sur les vins, ne figure pas sur cette carte. C'est la preuve que cette station - péage avait perdu son importance au moment de la réalisation de la carte itinéraire (4 siècles après le procès); au temps de Fonteius, le seuil de Naurouze, avait pu être une limite entre les cités de Narbonne et Toulouse et par ailleurs d'Elusio partait une route qui menait chez les Rutènes alors indépendants. La décadence de ce site, vers le IVe siècle, est attestée par les fouilles archéologiques.

          La troisième halte se faisait à Eburomagus (Bram), la distance entre Fines et Eburomagus n'est pas indiquée. Les importants travaux de recherches menés par l'équipe archéologique de Michel Passelac à Bram ont permis de mesurer l'importance du rôle économique d'Eburomagus à l'époque gallo-romaine.
          Sostomagus (Castelnaudary) ne figure pas sur la Table de Peutinger probablement qu'à cette époque c'était Eburomagus qui était le centre majeur d'intérêt. Eburomagus, sur la voie d'Aquitaine, au carrefour de routes vers les Pyrénées et la Montagne Noire, occupait une position économique stratégique. Ces régions sont riches en bois et minerais de tout genre et l'activité des forgerons et potiers d'Eburomagus était intense.

          La quatrième halte était à Carcasona (Carcassonne) située à XIII ou XIV milles de Bram (20 km environ), puis venait Lixiana (Lézignan) à XX milles de Carcassonne (cinquième halte).
          La sixième halte était située à XI milles de Lézignan près de Villedaigne et enfin on arrivait à Narbonne après XVI milles (24 km).

Badera
          Ainsi Baziège (Badera) figure sur cet itinéraire au même titre que Bram et Carcassonne. L'importance et le rôle de Badera à l'époque gallo-romaine sont mal connus. Il est possible que Baziège ait tiré profit de sa position stratégique près d'un gué pour franchir l'importante zone marécageuse et passer de la rive droite de l'Hers à la rive gauche, vers Vielle Toulouse et Toulouse ; ce marécage barrait aussi à Baziège les échanges entre le Nord et le Sud. Badera a-t-il tiré profit de ce gué facilement contrôlable ?

          A l'époque gallo - romaine, le trafic et la consommation locale en vin à Badera devaient être considérables si l'on en croit le grand nombre de débris d'amphores trouvés à l'ouest du village, dans le triangle délimité par l'Hers, le chemin des romains et le cimetière. Les divers travaux menés récemment dans ce triangle pour la construction des nouveaux quartiers ont mis à jour, outre des tuiles à rebords et autres débris de céramiques, des cols, panses et pilons d'amphores italiques. Déjà dans les années 1970, la construction de l'ancienne station d'épuration et d'un réseau d'égouts avait permis d'y repérer un ensemble de puits funéraires contenant des amphores et poteries campaniennes de la seconde moitié du premier siècle avant notre ère. Badera a-t-elle été un marché de redistribution des vins d'Italie au 1er siècle avant notre ère ?

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