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LA SAGA DES METAUX A TRAVERS LES AGES ET DANS LE MIDI

LUCIEN ARIES


         L'évolution de l'humanité a souvent été liée à la maîtrise de l'élaboration de nouveaux matériaux et notamment de nouveaux alliages. Après avoir utilisé les métaux qui existent à l'état natif comme le cuivre et l'or, l'homme a su maîtriser très progressivement l'élaboration des autres métaux à partir de leurs minerais, en commençant par le cuivre et ses alliages à l'étain; en ce temps là, le Lauragais était sur la route de l'étain que l'on allait chercher dans les Cornouailles au sud de l'Angleterre. Mais si 2000 ans avant notre ère l'homme découvre le fer, il a fallu attendre notre époque pour voir apparaître des métaux comme l'aluminium et le titane.

         Dans cette course aux hautes technologies de l'époque, le Midi n'était pas en reste avec notamment les sites métallurgiques gallo-romains de la Montagne Noire, des Corbières et surtout des Pyrénées. Le site des Martys est exceptionnel par la dimension de ses ferriers (résidus de fabrication du fer), qui sont la preuve de l'importance des installations sidérurgiques. Les forgerons des agglomérations gallo-romaines de la voie d'Aquitaine et notamment d'Eburomgus (Bram), de Sostomagus (Castelnaudary) et d'Elusio (Naurouze) étaient très actifs comme le montrent les recherches archéologiques récentes menées par le Laboratoire d'Archéologie du Lauragais.

         Ces sites étaient en plein essor quand éclata la croisade contre le Catharisme et les moulines à fer des seigneurs occitans tournaient à plein régime. Les chevaliers du nord en se ruant sur le Midi ne convoitaient-ils pas aussi ses mines et son minerai de fer réputé pour être des plus purs? L'effort de guerre et la révolution agraire du moyen âge favorisèrent le développement des techniques métallurgiques locales.

         L'essor de l'agriculture doit beaucoup aux avancées technologiques dans le domaine de la métallurgie. Au début, le développement de l'industrie du fer a permis une grande diffusion de la reille pièce essentielle du soc de l'araire; pièce tellement importante en Lauragais, l'emblématique reille figure sur une quinzaine de stèles discoïdales et sur de nombreux blasons. La révolution agraire du Moyen âge avec l'arrivée de la culture attelée lourde et le développement de l'industrie du fer sont étroitement liés. L'antique araire en bois avec sa reille emblématique en fer a été progressivement remplacée par des charrues toujours plus robustes grâce à des aciers de plus en plus résistants.

         Avec la force hydraulique appliquée au marteau de forgeage puis au soufflet apparurent le martinet puis la trompe des Pyrénées; moulines à fer et forges à la catalane se multiplièrent aux bords des rivières du Midi. Ce n'est qu'à la fin du XVIII e siècle que les travaux de Lavoisier, Bergman, Berthollet et Monge permirent de comprendre les phénomènes métallurgiques et donnèrent naissance à la sidérurgie moderne.

         Avec les métaux, l'homme découvre la corrosion, phénomène suivant lequel les métaux et alliages retournent à leur état naturel (oxydes, carbonates, sulfates…) sous l'effet d'agents atmosphériques ou de produits corrosifs. A l'heure actuelle les pertes dues à cause des phénomènes de corrosion sont de l'ordre de 3 à 4 % du PNB pour les pays développés. On estime que le quart de la production mondiale de l'acier ne sert qu'à remplacer les pièces corrodées. On distingue deux grands types de corrosion: la corrosion aqueuse et la corrosion sèche.

         La corrosion aqueuse, dite aussi corrosion électrochimique, se manifeste en présence d'une solution aqueuse, d'humidité ou de brouillard. Certains composés présents même en très petite quantité accélèrent dangereusement les phénomènes de corrosion. Par exemple le chlorure de sodium, communément appelé "le sel", est responsable de la grande agressivité de l'eau de mer vis à vis du fer et des aciers; il n'en contient pourtant que 3%. C'est pour cette même raison que le sang constitue un milieu très corrosif pour les prothèses (anche, dentaires..) et que le plus grand soin est apporté aux matériaux utilisés à cet effet. Dans ce milieu on doit avoir recours à des métaux (or, platine..) ou des alliages de composition bien définie et très coûteux (alliages de titane, de cobalt, de nickel…). Les éléments de pollution atmosphérique (fumées d'usine, gaz d'échappement des moteurs…) accélèrent aussi la corrosion.

         La corrosion sèche se manifeste en présence de certains gaz à des températures plus ou moins élevée. Il est bien connu que l'oxygène de l'air est responsable de phénomènes d'oxydation à haute température. D'autres gaz tel que le chlore ou des composés soufrés ou des issus de la combustion de certains carburants sont aussi très dangereux Ce type de corrosion se rencontre par exemple dans les chaudières, les moteurs ou encore les incinérateurs d'ordures ménagères.

         La corrosion attaque sous différentes formes causant par exemple des piqûres ou une attaque aux joints des grains du métal à l'échelle microscopique. La corrosion par piqûres est très fréquente en bordure de la mer. Il faut savoir aussi que des phénomènes de corrosion peuvent apparaître dans le cas d'assemblage de deux métaux de nature très différente. Par exemple si une pièce en fer est reliée à une pièce en zinc, la pièce en zinc va subir une corrosion à une vitesse beaucoup plus élevée que si elle était seule; c'est le phénomène de corrosion par couplage galvanique. Par contre, dans l'exemple précédent, le fer se corrode peu et se trouve protégé: ce phénomène est utilisé pour protéger les canalisation enterrées en acier (gaz de France) par des anodes de zinc (anodes sacrificielles). Ce principe a conduit aussi à l'acier galvanisé (acier recouvert de zinc).

         Les métaux ne naissent pas égaux devant les lois de la corrosion; certains comme l'or et le platine sont naturellement stables vis à vis de leur environnement et contrairement aux autres ne se corrodent pas. D'autres, comme le chrome ou le titane, réagissent avec leur environnement en se recouvrant d'une couche d'oxyde invisible à l'œil mais très adhérente, uniforme, homogène, "imperméable", qui les protège ultérieurement contre la corrosion. Ces métaux sont dits à l'état passif? Cette propriété du chrome de se passiver est à la base d'une grande découverte, celle des aciers inoxydables.

         En ajoutant du chrome au fer, c'est en France à Unieux près de St Etienne que sont nés, au XIX e siècle, les premiers aciers inoxydables. Il s'agit d'aciers qui contiennent, allié au fer, plus de 13% de chrome. Il existe une grande diversité d'acier inoxydable. Ceux qui ont la plus faible teneur en chrome peuvent être durcis par trempe comme les acier ordinaires et sont très utilisés en coutellerie, instruments chirurgicaux… Les plus courants que l'on rencontre en électroménager contiennent 17% de chrome environ et résistent mieux à la corrosion que les précédents tout en étant soudables. Ceux qui contiennent 18% de chrome et 8 à 10 % de nickel (acier 18-10) ont une excellente résistance à la corrosion dans des milieux variés : ils sont plus coûteux à cause de la présence de nickel qui est relativement rare (Nouvelle Calédonie). Ces derniers non attirables par l'aimant sont facilement repérables par rapport aux autres. En ajoutant encore d'autres éléments d'alliage on peut toujours accroître la résistance à la corrosion des aciers inoxydables mais leur prix de revient s'envole! Un compromis est inévitable.

          Par ailleurs les techniques de protection des métaux à l'aide de revêtements anticorrosion se sont fortement développées au XX e siècle par soucis d'économie et de protection de l'environnement.

         En prenant le cas du fer, il peut être protégé par un dépôt d'un autre métal. La protection par l'étain par exemple est pratiquée depuis l'antiquité. Encore au début de 20ième siècle, avant la large diffusion des aciers inoxydables de nombreux ustensiles de cuisine (fourchettes, cuillères, plat…) étaient en fer étamé. Le fer galvanisé, recouvert de zinc, présente également un grand intérêt.

         Les métaux peuvent aussi être protégés en favorisant à leur surface la croissance d'une couche (oxyde, phosphate..) très insoluble et imperméable. C'est le cas de l'aluminium sur lequel on fabrique par électrolyse une couche d'oxyde d'aluminium très imperméable protectrice et pourtant invisible; il s'agit alors d'aluminium anodisé.

         De nos jours, des efforts considérables sont consentis par des industries de masse comme celle de l'automobile, pour lutter contre la corrosion. Les tôles d'acier utilisées en carrosseries automobiles sont préalablement revêtues de zinc, puis subissent plusieurs traitements anticorrosion (phosphatation, passivation chromique…) avant la mise en peinture.

         Cette industrie du traitement de surface anticorrosion des métaux n'est pas sans danger sur l'environnement, quand on sait que parmi l'un des produits les plus efficaces contre la corrosion et largement utilisé notamment dans les peintures, est à base de chrome hexavalent réputé pour être cancérigène. A l'heure actuelle, les laboratoires de recherche mettent tout leurs efforts à trouver un substitut au chrome hexavalent.

         Au 20ème siècle de nombreux métaux, alliages, polymères et autres matériaux composites ont vu le jour pour répondre aux exigences des nouvelles technologies et notamment de l'électronique, de l'aéronautique et de l'espace. L'industrie métallurgique Fortech de Pamiers, forgerons du 3ème millénaire, héritière du savoir faire des forgerons ariégeois, équipés des techniques les plus innovantes, fabrique de nombreuses pièces vitales de l'Airbus et notamment la structure des mâts qui portent les réacteurs.

         C'est tout un long cheminement qui a conduit jusqu'aux dernières avancées technologiques en matière de matériaux toujours plus résistants, plus légers et plus respectueux de l'environnement.

Lucien ARIES

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