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Le curé de Baziège à Versailles.

 

                                                           Pierre FABRE.

 

 

 

Claude Guyon, curé de Baziège, assiste le 16 mars 1789, à l’Assemblée de Sénéchaussée, qui se tient à Castelnaudary, en l’église des Cordeliers. Les trois ordres réunis, Clergé, Noblesse et Tiers-Etat sont chargés de désigner par élection leurs délégués à la réunion des Etats généraux qui doit se tenir, début mai à Versailles.

 

En 1765, Claude Guyon, âgé alors de 41 ans est nommé curé de l'église St Etienne, paroisse de Baziège. Issu d'une famile toulousaine, il possède une certaine fortune personnelle qui lui permet une certaine aisance. N'achète-t-il pas peu après sa nomination la maison jouxtant le presbytère pour lui permettre un peu plus d'aisance? Il fait même percer à ses frais une porte de communication entre les deux logement. Baziège est une « bonne cure ». A la communauté de Baziège sont aussi rattachées deux autres paroisses : celle du hameau de Saint-Martin dont l'église est administrée par Fourquevaux et celle de Sainte Colombe dont les revenus sont rattachés à celle de Baziège. Un vicaire en assure le service. D'autre part, le curé de Baziège est aussi curé de Villenouvelle dont il perçoit les revenus (casuels et dîmes) à charge pour lui d'y entretenir un vicaire.

Le village est assez riche : de nombreux commerçants prospères, des propriétaires fonciers producteurs de blé, des foires et marchés courus de toute la région font que les revenus affectés au titulaire de la cure de Baziège étaient plus que substantiels et lui permettaient un certain train de vie auquel de nombreux curés de campagne n'avaient pas accès.

Son train de vie lui permet d'entretenir un valet, Pierre à cette époque, qui le décharge des tâches matérielles, introduit et annonce les visiteurs.

Son influence politique et sociale est aussi importante : siégeant de droit au Conseil politique de Communauté, il est très écouté par les Consuls qui gèrent les affaires courantes. C'est à l'église, le dimanche, que sont lues et expliquées les décisions royales : par exemple, les ordonnances royales mettant sur pied l'organisation de la réunion des Etats généraux. Et tous ces textes rédigés en bon français devaient être expliqués à l'assistance dans la langue vernaculaire, c'est à dire en occitan local. Il préside aussi la Fabrique de l'église qui assure l'entretien des locaux dédiés au culte; il nomme les marguillers, choisit les « régents », les maîtres d'école et organise la charité publique.

 

Donc, ce seize mars, dès huit heures du matin, les trois ordres sont rassemblés dans l'église des Cordeliers. L'assemblée assiste d'abord à la messe du Saint-Esprit après laquelle on chante l'Exaudiat et on récite « l'oraison accoutumée pour demander l'assistance de l'Esprit Saint ». Ensuite les députés prennent place « conformément à la disposition prescrite par les règlements ». Après quoi, le lieutenant général, Jacques DEGAURY [1], prononce un discours « adapté aux temps et aux circonstances ». [2]

Après ce discours et celui du procureur du Roi, on va effectuer l'appel général et pour  « abréger les opérations, de procéder en même temps à la vérification des titres et pouvoirs ». Pour cela, chaque ordre va désigner des commissaires qui seront chargés de cette tâche.

On commence par procéder à l'appel des membres du clergé. Les quatre commissaires nommés sont :

M.   l'archiprêtre de Laurac

 M. l'archiprêtre de Gardouch,

M. le curé de Verdun,

M. le curé de Baziège.

L'ordre du clergé compte environ 130 personnes présentes. Le nombre d'ecclésiastiques représentés sont au nombre de 174. Les curés sont en plus grand nombre : 138 en comptant les chanoines (6) et les archiprêtres (3). Le clergé régulier est lui aussi représenté par une dizaine de personnes dont la plus éminente est le prieur abbé de Sorèze.

Les prêtres hebdomadiers[3], prébendiers[4] et obituaires[5] sont au nombre d'une vingtaine.

Tous ne sont pas présents dans cette assemblée, notamment certains curés de campagne. Une quarantaine environ sont représentés ou ont donné leur pouvoir à un confrère. Ainsi la paroisse de Villenouvelle qui dépend de celle de Baziège est représentée par le curé Claude GUYON de Baziège qui possède ainsi deux « pouvoirs ». D'autres trop âgés ou malades ont délégué leurs pouvoirs. Il faut penser, aussi, que certains curés de petites paroisses n'avaient pas les moyens financiers de subvenir aux frais occasionnés par un tel déplacement d'une bonne dizaine de jours. Quelques-uns se faisaient représenter par un marguillier.

Le recensement des délégués de la noblesse et du Tiers-Etat va se poursuivre jusqu'au lendemain.

Le 17 mars, Les derniers litiges réglés, les trois ordres vont prêter le serment comme l'exige le règlement. « Les membres de l'ordre du clergé, leur main droite mise sur la poitrine et les membres de la noblesse et du tiers-état, leur main levée à la passion figurée de Jésus-Christ ont promis et juré de procéder fidèlement, d'abord à la rédaction d'un seul cahier, s'il en est ainsi convenu par les trois ordres, ou séparément à celui de chacun des trois ordres, ensuite à l'élection par voie de scrutin des notables au nombre dans la proportion déterminée par la lettre du Roi pour représenter aux Etats Généraux les trois ordres de la Sénéchaussée. »

L'accord sur un seul cahier de doléances ne s'est pas fait et les trois ordres vont délibérer séparément : le clergé dans la chapelle des Pénitents-Blancs, la noblesse dans celle des Pénitents-Noirs. Les chapelles ont été équipées de bureaux et le nécessaire a été fait « pour leur besoin et leur commodité ».

Le 21 mars après-midi, le clergé dépose auprès de l'administration de la Sénéchaussée son cahier de doléances. L'assemblée des membres du clergé a désigné comme député aux Etats Généraux François ROCHE, curé de Montgaillard. Mais comme il est absent, on a proposé son suppléant, le curé de Baziège, Claude GUYON.

Le 28 mars, tous les délégués sont choisis, les cahiers de doléances rédigés. Pour terminer cette assemblée de Sénéchaussée qui a dû paraître bien longue à certains, il ne reste plus qu'à enregistrer solennellement la prestation de serment des députés élus des trois ordres. « Considérant l'importance d'abréger le long séjour de tous les membres de l'assemblée », les trois ordres sont convoqués en assemblée générale le lendemain à neuf heures du matin dans l'église des Cordeliers.

Le 29 mars au matin, le député de l'ordre du clergé, ROCHE, curé de Montgaillard, est toujours absent. Le curé de Baziège, Claude GUYON, son suppléant se présente devant le procureur du Roi et affirme que « M. ROCHE lui a déclaré ne pouvoir absolument profiter de l'honneur que son ordre lui avait fait de le députer à la prochaine assemblée des Etats Généraux du royaume ». Il est d'accord pour que le curé GUYON le remplace. Ce dernier présente une déclaration de M. ROCHE, datée et signée du vingt-deux mars, dans laquelle ce dernier confirme sa décision.

La question du député du clergé ainsi réglée, tous vont prêter serment. Les quatre députés sont à genoux face à l'assemblée ; « le curé GUYON, sa main sur la poitrine, le marquis de VAUDREUILH[6], M. DEGUILHERMY et MARTIN DAUCH[7], leur main sur les Saints Evangiles ont promis et juré en Dieu et en face de toute l'assemblée de remplir fidèlement les obligations de leur députation aux Etats Généraux et les voeux de leur ordre ».

Avant que les députés ne se séparent, une messe en action de grâce est célébrée. Ainsi se termine l'assemblée des trois ordres de la Sénéchaussée de Castelnaudary.

Cette nomination du curé Claude GUYON pose plusieurs questions : pourquoi n’était-il que suppléant et non candidat ? Pourquoi cette assemblée de prélats composée en grande majorité de prêtres a-t-elle choisi un prêtre absent et qui semble-t-il ne voulait pas de cette candidature ?

Le curé ROCHE est titulaire de la paroisse de Montgaillard, très rurale sans commerces ni artisanats importants. Les revenus de la cure devaient être modestes. Elle est  voisine de celle de Villenouvelle. Par conséquent, les deux curés devaient bien se connaître et une entente (voire une stratégie) a pu se produire.

Les candidats ne devaient pas non plus être nombreux, car siéger aux Etats Généraux n’était pas sans occasionner de nombreux frais :

-                          le député prêtre devait payer sur ses revenus un vicaire qui le remplacerait, le temps de sa mission,

-                          Même si le roi avait prévu des indemnités pour les frais engagés par les députés, ils ne seraient débloqués que courant novembre et quand on connaissait l’état des finances du royaume de France, on pouvait se faire du souci[8] quant à leur recouvrement. Il fallait, par conséquent, avancer l’argent pour le voyage, le logement à Versailles, les vêtements, la nourriture, les extra…

Seul, un curé possédant des revenus solides pouvait accepter une telle délégation et le curé Claude GUYON, déjà âgé - 65 ans -, était un des rares à pouvoir assumer tous ces frais. Eut-il d’autres ambitions ? Il ne semble pas car il ne se fit pas remarquer dans les nombreux débats et suivit, sans problème, les fluctuations de son ordre. On ne trouve aucune trace de ses interventions, s’il y en eut. Il n’imaginait sûrement pas, comme tous ses collègues députés, que son absence durerait vingt-huit mois au bout desquels il reviendra à Baziège.

 

Le voyage par lui même fut une véritable expédition. Pour rejoindre Versailles depuis la région toulousaine, il fallait compter entre dix et quinze jours par des routes pas toujours carrossables, affronter les intempéries, la froidure. Les températures de fin avril ne sont pas toujours clémentes. Pierre, le précieux valet de Claude Guyon, est du voyage et doit assurer le confort du vieillard. Après un voyage dont a peine aujourd’hui à imaginer la pénibilité, les voici arrivés à Versailles. Les députés sont 1200 sans compter leur domesticité, voire leur famille pour les députés de la Noblesse et du Tiers-Etat. Il faut loger tout ce monde et Versailles n’est pas une ville immense. Les aubergistes ne sont pas en reste et le commerce des chambres et des meublés fleurit : tous ces provinciaux qui veulent un gîte pour une durée indéterminée. Les hôtels avec leur clientèle de prélats et d’officiers sont vite complets. Alors, sur ordre du roi, les particuliers sont tenus de mettre à des chambres à la disposition des membres du bas clergé et du tiers état.

Le 2 mai, les députés des Etats Généraux sont présentés au roi. La cérémonie est somptueuse. Les députés ont dû s’habiller selon des directives précises : on ne se présente pas devant le roi dans n’importe quel accoutrement. Les cardinaux sont en rouge, les archevêques en violet et les autres membres du clergé en soutane, long manteau noir et bonnet carré.

Le 5 mai, c’est le grand jour de l’ouverture solennelle des Etats Généraux à l’hôtel des Menus-Plaisirs. Nous passerons sur toutes les péripéties qui jalonnent cette époque pour ne garder que celles qui concernent le député du clergé Claude GUYON.

Le 17 juin, devant l’intransigeance des nantis (Noblesse et Haut-Clergé appuyés par le Roi), le Tiers-Etat se proclame Assemblée nationale. Bientôt, le clergé admet sa réunion au Tiers-Etat par les trois cinquième des voix. Les députés des Etats Généraux deviennent à partir de ce moment, députés de l’Assemblée Nationale qui devient Assemblée nationale constituante après le serment du jeu de paume, le 20 juin.

Claude GUYON participa-t-il dans l’enthousiasme, la nuit du 4 août, à l’abolition des privilèges ? Les dîmes, les casuels (droits perçus sur les baptêmes, les mariages, les funérailles) disparaissent.

Comment réagit-il à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui prône la liberté individuelle, en particulier les libertés d’opinion et de religion ?

Pour combler le déficit de la lourde dette publique, l’évêque d’Autun, TALLEYRAND, fait accepter la nationalisation et la vente des biens du clergé.

Le 9 novembre, quelque temps après la marche des femmes et le départ de la famille royale pour Paris, l’Assemblée nationale Constituante quitte Versailles et s’installe au manège des Tuileries. Nouveaux soucis de logement pour les députés.

 

A Baziège, le Comte de LABOUCHEROLLE, prévoyant, envoie ses sbires, des feudistes[9], dans la communauté afin de renouveler les titres et essayer d’en remettre à jour d’autres qui auraient été oubliés des siècles durant afin de pouvoir les monnayer lors de leur rachat. Le Conseil de Communauté outré par les agissements du Comte en appelle à Assemblée nationale sous le couvert de son député, le curé GUYON :

      L'Assemblée Nationale sera aussi suppliée de prendre en considération que les titres des seigneurs devraient être prescriptibles pour ceux qui ne pourront pas se racheter dans le terme qu'il plaira à sa sagesse de déterminer, comme aussi de déclarer prescrits d'ores et déjà tous les titres qui sont restés pendant plus d'un siècle ensevelis dans la nuit des temps, sans jamais avoir reçu une exécution, comme étant présumés avoir été affranchis ou rachetés dans un si long intervalle.

     A la diligence de M. les officiers municipaux de cette ville, un extrait en forme de la présente délibération sera adressé à M. le Président de l'Assemblée Nationale, un autre extrait à Mgr le Contrôleur Général des finances et un troisième à M. le Curé GÜYON de Baziège, député à l'Assemblée Nationale pour en faire l'usage qu'il conviendra. »[10]

 

Début février 1790, les premières municipalités sont en place. ESTADENS, maître de la poste royale et ancien député de Baziège aux Etats Généraux de la Sénéchaussée de Castelnaudary est élu maire.

Le Conseil Général décide à l'unanimité que tous les bancs ayant des marques honorifiques seront ôtés de l'église dans un délai de vingt­ quatre heures et il délègue le secrétaire greffier pour prévenir leur propriétaire de les faire enlever.

            Cette affaire va envenimer les relations entre la municipalité et le clergé local soutenu par le clan des « contre révolutionnaires » parmi lesquels nous retrouvons DE LABOUCHEROLLE.

Le 25 février, le maire se rend en personne, accompagné de M. ORTRIC, notable et du secrétaire BONNES, chez les vicaires de cette paroisse pour les prier, selon le voeu de l'assemblée communale,

 

« de n'avoir plus à reconnaître de seigneurs dans notre église, de ne plus leur donner le premier coup d'aspersoir, ni de les nommer au prône et de leur donner l'offrande les premiers. Ces honneurs étant maintenant dus à M. le Maire et à Messieurs les officiers municipaux en conformité de la, nouvelle loi, légalement publiée et affichée, en vertu de laquelle messieurs le Maire et officiers viennent d'être élus. »

 

            Les deux vicaires COLLATIER et BAISSET ont répondu qu'ils ne pourraient obéir à leur demande que si elle est signifiée par huissier et que, par conséquent, ils continueraient à suivre l'ancien usage. Le maire leur fait remarquer que :

«les temps n'étaient pas assez bons pour gâter l'argent en frais inutiles »

et les convoque à venir s'expliquer, le 27 février, devant le Conseil Général de la commune où

« leurs raisons seront enregistrées et ensuite l'assemblée leur expliquera ses volontés. »

 

            Le 27 février, seul le vicaire BAISSET se présente devant l'assemblée communale à la place de M. COLLATIER, malade. Il donne lecture d'une lettre, datée du 15 février et écrite par le curé de Baziège, GUYON, député à l'Assemblée Nationale.

«Pour ce qui concerne les honneurs dans l'église, l'Assemblée Nationale, n,ayant rien fixé quant aux officiers municipaux, ils ne sont point en droit d'exiger rien au-delà de ce que les règlements leur ont attribué jusqu'ici, Et ainsi, tenez-vous en à l'ancien usage à cela près qu'ils seront les premiers aujourd'hui au lieu qu'ils ne venaient qu'après les seigneurs ; le décret de l'Assemblée Nationale que je n'ai pas sous les yeux dans ce moment et dont je ne me rappelle même pas la date, n'accorde aux officiers municipaux la préséance que sur les officiers civils et militaires. »

            Après la lecture de la lettre, M. BAISSET dit qu'il offre de recommander au prône les officiers municipaux les premiers, mais qu'il se croit obligé de recommander après eux les seigneurs aux prières du peuple, à moins que la Commune n'en fasse défense expresse.

            De plus, il se dit prêt à exécuter soit les décrets de l'Assemblée Nationale, soit ceux de la Communauté du moment qu'ils lui seront connus et assignés par M. le Curé de Baziège, député à l'Assemblée Nationale.

         Après avoir entendu, avec quelque surprise, les allégations du vicaire BAISSET, l'assemblée a d'une commune voix décrété que :

« l'Assemblée Nationale a détruit le régime féodal et aboli tous les privilèges personnels et réels. Elle a décrété qu'il n'y avait d'autres préséances que celles que la loi nouvelle donne, vu que suivant la lettre même du Curé, les officiers municipaux doivent passer avant les seigneurs. De plus, il n'y a aucun décret qui établisse de nouveaux droits honorifiques en faveur des seigneurs, même après les officiers municipaux. Il est enjoint aux dits sieurs vicaires de se conformer à la nouvelle loi établie par les décrets de l'Assemblée Nationale. En conséquence, il est fait inhibition (interdiction) aux dits sieurs vicaires et curé de ne décerner aucun honneur quelconque dans les églises de la commune de Baziège, Ste Colombe et St Martin, ses dépendances, aux seigneurs engagistes du domaine de Baziège. Il sera remis une expédition en forme du présent décret aux vicaires de cette paroisse, à celui de St Martin et à M. le Curé de Ste Colombe par le secrétaire greffier avec injonction (ordre) de s'y conformer. »

         Avant de clore la séance, le greffier rend compte de sa mission chez Messieurs DE LABOUCHEROLLE, IZARN et sa dame pour leur demander d'avoir à ôter leurs bancs de l'église dans un délai de vingt-quatre heures. Il lui a été répondu

« qu'ils ne les y avaient point mis et qu'on pouvait les en sortir si l'on voulait ».

            Sur cette réponse catégorique, l'assemblée a ordonné que les bancs soient « ôtés tout de suite » de l'église. On ne dit pas s'ils furent brûlés comme dans certaines communes, mais à coup sûr, le ton était donné pour la suite des évènements.

Aujourd'hui ces questions de préséances peuvent nous paraître futiles, désuètes, mais à l'époque, elles étaient très importantes pour cette première assemblée municipale élue par les villageois, assemblée qui devait imposer sa nouvelle légitimité devant des seigneurs ou co-seigneurs arrogants et récalcitrants encore imbus de leurs anciens privilèges, même s'ils n'étaient qu'honorifiques depuis longtemps.

 

Juillet 1790, l’Assemblée Nationale Constituante réorganise l’Eglise de France. C’est la constitution civile du clergé. Dorénavant, curés et évêques seront élus par l’ensemble des citoyens actifs quelle que soit leur religion, la seule condition étant d’avoir assisté à la messe avant de voter. Les biens d’église sont mis à la disposition de la nation et les ecclésiastiques deviennent fonctionnaires. Assez confortables, les traitements permettront d’améliorer la situation du bas clergé. Les diocèses sont ramenés à un par département. En avril 1791, le pape, Pie VI, condamne, bien sûr, cette nouvelle organisation du clergé qui lui enlève le pouvoir de désigner la hiérarchie catholique.

Louis XVI est secrètement hostile à cette constitution civile du clergé ; ce n’est que forcé et contraint qu’il a dû ratifier tous les décrets et qu’il sera encore obligé d’en signer d’autres.

            En novembre 1790, et afin d’obliger les membres du clergé à accepter la constitution civile du clergé, l’Assemblée va les contraindre à prêter serment. Ils vont devoir jurer « d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution votée par l’Assemblée nationale ». En cas de refus, les prêtres seront considérés comme démissionnaires : ils deviendront des « prêtres réfractaires ». La majorité des membres du clergé dont fait partie Claude Guyon, refusent de voter cette loi : s’ils persistent dans leur refus, le clergé français sera  coupé en deux : d’un côté les jureurs et de l’autre les réfractaires.

 

            Le 15 janvier 1791, le sieur Sagné, officier municipal reçoit une lettre et un paquet de M. le curé GUYON, député à l'Assemblée Nationale. Dans sa lettre, il lui demande d'ouvrir le paquet en présence de tout le conseil général. Dans ce paquet, une lettre du curé annonce qu'il :

 

« n'est plus curé de Baziège par le fait qu'il a refusé de prêter le serment civique sans restriction. La population de Baziège exige qu'il y ait deux prêtres pour le service de la paroisse. M. COLLATIER, vicaire est déjà à la charge de la nation. M. BAISSE,  second vicaire qui le remplace est à sa charge et par le fait de son refus, de prêter serment il est sans fonction et sans revenus et il ne peut par conséquent subvenir à l'entretien du second vicaire. A la fin de sa lettre, il demande à ses paroissiens de faire un « sort » au vicaire BAISSET.

 

            Le lendemain, le vicaire est convoqué à la mairie où le maire après lui avoir lu la lettre du curé GUYON, lui propose, s'il voulait continuer ses fonctions, de lui payer le « quartier » de janvier. Le vicaire BAISSET offre de faire le service comme à l'accoutumée pour le traitement qu'on voudra bien lui faire et refuse de recevoir la somme offerte par le maire.

 

            Le 27 février 1791, le Conseil Général de la commune transmet aux vicaires de la paroisse le décret du 29 novembre 1790 concernant le serment civique que doivent prêter les ecclésiastiques :

« Cette loi a été affichée et notifiée aux vicaires. Messieurs COLLATIER et BAISSET, vicaires de la paroisse, ont répondu qu'ils demandaient huit jours pour se consulter et qu'ils feraient comme les autres. »

            Les deux vicaires, à l’exemple de leur curé refuseront de prêter le serment, tout comme 60% des prêtres du diocèse de Toulouse.

         La Constitution Civile du clergé va être à l’origine d’un véritable schisme qui va partager le clergé et les croyants. De nombreux prêtres qui avaient été élus et qui avaient prêté serment se rétractent. A Toulouse, en août, le Club patriotique « la Société des Amis de la Constitution » demande que les prêtres qui n'ont pas prêté serment se retirent hors de leur lieu d'exercice.

        

         Le curé GUYON ayant terminé son mandat de député à l'Assemblée Nationale a rejoint sa cure dans le courant de l'été, avant que l'Assemblée Législative nouvellement élue ne prenne ses fonctions, début octobre.

            Les curés de Baziège sont restés en fonction dans leur paroisse protégés par la population et la complicité secrète de la municipalité jusqu'à l'installation d'un curé jureur. Cependant, on pense que les choses vont s'aggraver et des objets sacrés sont subtilisés dans l'église. Sitôt que la chose s'ébruite dans le village, ESTADENS, qui a été élu administrateur au département, s'inquiète de ces disparitions.

 

« Il a appris qu'on dépouillait la sacristie des vases sacrés et des ornements destinés au service divin et qu'en conséquence il convenait de prendre les mesures les plus promptes pour empêcher ces dépouillements, (25 octobre 1791) »

         L'assemblée décide de faire procéder à l'inventaire de tous les vases sacrés et ornements destinés au service divin qui sont ou doivent être dans la sacristie de l'église de Baziège.

 

Installation du curé constitutionnel.

 

            La grande affaire de l’année 1792 fut à Baziège l’installation du curé constitutionnel. Cette arrivée si peu désirée fut lourde de conséquences

Dès la fin janvier, Izarn, procureur de la commune déclare :

« Nous avons comme pasteur depuis vingt-cinq ans M. GUYON, homme respectable par son grand âge, sa conduite qui pendant tout cet intervalle s'est montré sans reproches, ses moeurs d'une régularité exemplaire. Enfin, si nous avions le choix de choisir nous-mêmes un pasteur, nous ne pourrions choisir que lui jusqu'à ce que la Faux meurtrière qui n'épargne personne le retranche du milieu de nous. »

            IZARN et l'assemblée communale ont de quoi être inquiets. En effet, le 5 février, les électeurs du district de Villefranche sont convoqués pour nommer les curés de Gardouch et de Labastide. Ils pourraient considérer que la cure de Baziège est vacante puisque non pourvue en prêtre constitutionnel d'autant plus que certains membres « isolés de la commune dont certains ne sont même pas citoyens actifs » feraient une pétition dans ce sens.

         En effet, le corps électoral du district de Villefranche nomme à la cure de Baziège le sieur PARENT et cette nomination est ratifiée par le Directoire du Département.

         Le conseil général de la commune refuse ce curé constitutionnel, en se basant sur des textes en vigueur, et notamment en faisant remarquer que le 5 février jour de la nomination du sieur PARENT, l'état portant la liste des cures vacantes n'indiquait pas que Baziège le soit. Ce n'est que de sa propre autorité et manipulé par « quelqu'un d'influent[11] » que le corps électoral se permet d'attribuer un curé à Baziège, ce que le directoire du département autorise tout de suite. Dans cette affaire, il ne faut pas oublier que le sieur ESTADENS est toujours administrateur du Directoire du département.

         D'ailleurs, ce dernier adresse à la municipalité, par huissier, le 25 février, un acte dans lequel il somme la municipalité de déclarer « si elle voulait recevoir le sieur PARENT ou non ». La municipalité procédurière est au courant des lois (CLAUZEL, le maire et IZARN, le procureur sont de par leur profession hommes de loi) et en appelle même à la médiation du Directoire Départemental de l'Ariège pour trancher comme l'y autorise la loi du 19 octobre 1791.

         Le conseil général de la commune justifie sa démarche comme une mesure de prudence qui lui fait

« refuser de recevoir un curé d'après un titre de nomination qui lui paraît radicalement nul, ce qui peut avoir les plus funestes suites. »

 

et il accuse ESTADENS de mauvaises dispositions à son égard :

 

« il voit dans autrui des intentions qui n'y ont jamais existé et il croit son autorité lésée. Il fait un crime à la Municipalité et au Conseil Général de la commune de Baziège d'avoir observé les lois légales, les accuse d'avoir voulu agir clandestinement pour faire annule rla nomination et l'arrêté qui l'autorise et il leur donne les plus odieuses qualifications ». (11 mars)

            Pour terminer sa défense, le Conseil Général de la commune fait remarquer que sur les onze pétitionnaires qui réclament l'application de l'arrêté concernant la nomination du curé PARENT, il y en a au moins quatre qui ne sont pas citoyens actifs : Guilhaume BEAUTES, BEAUTES aîné, joseph BEAUTES et MERCADAL aîné, tous mineurs, fils de famille et que ce n'est finalement que sept signataires sur 316 citoyens actifs qui demandent cette nomination.

            Quant à ESTADENS, dans une lettre adressée à ses collègues de l'administration départementale, il fustige la conduite du Conseil Général de la commune et précise que :

« la municipalité a besoin d'un coup de cordeau : elle s'écarte totalement de la ligne et je crois que c'est au département de la corriger. »

 

            Fin mars, le curé constitutionnel, MAILLAT, est nommé sur Baziège. Le 24 mars, il doit être installé dans son nouveau poste et il doit célébrer la messe à l'église. Seul, BOUFFIL Officier municipal est là pour l'accueillir et six gardes nationaux pour l'escorter. Les autres gardes, quoique convoqués ne se sont pas déplacés. Une foule énorme (deux à trois cents personnes pour les uns, quatre cents pour les autres) attend le curé constitutionnel de pied ferme devant la maison commune dont le rez-de-chaussée sert de passage à l'entrée de l'église. Une lettre écrite par des patriotes essaie de nous édifier sur les évènements. Quand le prêtre arrive,

 

« il fut chassé honteusement de l'église, hué, menacé, insulté, atrocement souffleté ;on lui tira les cheveux, on lui jeta des pierres et du sable dans !es  yeux et cela par la faute de la vile populace sans que la municipalité daigne intervenir. Il n'y avait que le patriote BOUFFIL qui partagea toutes ces atrocités avec cet infortuné prêtre. Nous, les patriotes, fûmes menacés d'être pendus aux lampes de l'église, »

 

            Le curé constitutionnel doit se réfugier dans la maison commune pendant que le curé GUYON, ayant gagné la première manche, célèbre la première messe. Après cette cérémonie,

 

« il eut le courage de revenir dans l'église accompagné du seul BOUFFIL et de BONNES greffier et d'une petite poignée de patriotes non lâches mais trop faibles pour résister à la vile populace de personnes enragées de fanatisme. »

 

            Le prêtre constitutionnel est installé au milieu des huées, des insultes. Il réussit à dire la messe, DUGLA lui servant d'enfant de choeur. Il se retire ensuite chez ESTADENS, toujours poursuivi par une population qui l'accable d'outrages. Les patriotes font remarquer que :

« pendant la messe, on fit un bruit épouvantable dans l'église. Pendant l'élévation on cria que c'était le diable et non le bon dieu qu'il faisait voir. Quand il sortit de la maison commune et qu'il entra dans l'église, nos anciens prêtres sortirent d'un air effarouché comme s'ils eussent vu le diable. Il n'en fallut pas davantage pour donner le signal au peuple : les uns sortirent en foule, les autres restèrent mais tous criaient et semblaient enragés. »

 

            L'après-midi pour les vêpres, même scénario, mêmes insultes. Quand l'abbé MAILHAT pénètre dans l'église, le vicaire qui faisait le catéchisme s'enfuit comme s'il avait vu le diable et le charivari recommence. A la sortie, le prêtre est encore lapidé et doit s'enfermer chez ESTADENS. A la fin des vêpres, la municipalité se rend à la sacristie où elle procède avec le curé GUYON au partage des effets sacerdotaux.

« On fit le partage des ornements. On mit la grosse part et toute l'argenterie dans la sacristie des marguillers pour l'usage des prêtres non assermentés et la plus petite portion fut laissée dans la sacristie du curé constitutionnel. »

         Vers les huit heures du soir, le maire CLAUZEL, le procureur de la commune IZARN et SAGNE (qui venait d'arriver de Castelnaudary et qui était « au désespoir de ne pas avoir été là pour secourir son collègue BOUFFIL ») viennent rendre visite au pauvre curé

« qui était avec trois ou quatre Patriotes à gémir sur ce qui s'était passé. »

         Les visiteurs se disent bien fâchés et ils assurent que demain, il ne se passera pas la même chose et que tout rentrera dans l'ordre. Pourquoi ce soudain intérêt pour un homme qu'ils ont boudé et laissé ridiculiser toute la journée ? C'est parce qu'ils ont appris que DUGLA, chef de la Garde Nationale, après la violence de la cérémonie du matin, est parti à TOULOUSE pour porter plainte auprès des autorités du département. On craint, comme cela s'est produit dans d'autres villes du département, que des troupes ne soient envoyées à Baziège pour rétablir l'ordre.

         Le lendemain 2 5 mars, en effet, le maire, BOUFFIL et SAGNE accompagnent le nouveau curé à l'église. Personne ne lui dit rien et près de cent vingt personnes l'écoutent célébrer la messe dans le calme le plus parfait. Mais les autres prêtres non assermentés ne veulent pas s'avouer vaincus. Ils refusent de dire la messe suivante au grand autel où le curé constitutionnel a officié. Ils la disent dans la chapelle de N.D. de l'Agonie et donnent la communion dans une tasse à café car ils ont dû céder le ciboire à leur concurrent.

L'après-midi, ils ont chanté vêpres au fond de l'église à côté des fonts baptismaux de façon

« que le peuple tournait le cul au grand autel et ils disaient que le bon dieu n'y était pas. Le soir, ils ont chanté les complies au lutrin, mais toujours en tournant le cul à l'autel. »

            Et le patriote narrateur, termine la relation de ces deux journées par un éloge du nouveau curé.

« A toutes les insultes et les outrages, le pauvre curé ne répondait que par des bénédictions, disant qu'un pareil jour, Jésus-Christ avait été chassé du Temple, qu'on pouvait bien le chasser lui aussi et qu'on avait fait mille fois plus d'outrages à son divin maître qu'on ne lui en faisait. »

            Le département va prendre des mesures énergiques comme il avait déjà été amené à en prendre à Revel et ailleurs. Le 27 mars arrive à Baziège M. JALABERT, habitant d'Avignonet et commissaire du district de VILLEFRANCHE. Il convoque le Conseil Municipal à la mairie. Seuls se présentent trois officiers municipaux : SAGNE aîné, BOUFFIL et CABOS Guilhaume. Le commissaire leur fait part de l'arrêté départemental du 26 mars qui ordonne

« au ci-devant curé et autres ecclésiastiques ci-devant fonctionnaires de quitter la paroisse dans les vingt-quatre heures et de préparer des logements pour une compagnie de dragons du 15ème régiment qui doit arriver demain à 10 heures du matin. »

            Les curés sont convoqués à la mairie où l'arrêté leur est signifié par le commissaire qui

« les exhorte à obéir avec douceur et tranquillité, ce qu'ils ont promis de faire et se sont retirés. »

                   Le directoire du département a employé la manière forte pour imposer le curé constitutionnel. Le 28 mars, les dragons sont là, afin d'éviter des troubles et la communauté va ressentir cette lourde présence comme une punition.

         Le commissaire du district est resté dans la commune pour procéder à l'installation du curé constitutionnel dans son presbytère. Le lendemain, 29 mars, les officiers municipaux SAGNE Raymond, CABOS Guilhaume, BOUFFIL Jean, GUIRAUD Simon accompagnés du commissaire et précédés du baïle de la commune :

« nous nous sommes rendus dans la maison du sieur ESTADENS nous avons pris le sieur MAILHAT curé du présent lieu et l'avons conduit devant la maison presbytériale le nommé PIERRE, valet dusieur abbé GUYON, nous a ouvert la porte d'entrée. »

            Le commissaire inspecte le presbytère qu'il trouve dans un « état moyen » et en parcourant les pièces de la maison, il s'aperçoit qu'on

« travaillait à reboucher une porte de communication entre la maison presbytérale et une autre située au levant. Il en fait la remarque et une voix dans l'autre maison a répondu que la dite porte serait bientôt finie d'être bouchée. »

            Renseignements pris auprès de PIERRE, le valet de l'abbé GUYON, la maison voisine avait été achetée par le dit abbé « lorsqu'il prit la cure ».

Ces chaudes journées de l'installation du prêtre constitutionnel à Baziège eurent aussi des suites judiciaires. Le 9 juin 1793, des personnes « qui auraient joué un grand rôle dans la scène scandaleuse qui eut lieu lors de l'installation du curé constitutionnel » sont détenues dans la maison d'arrêt du district.

         Mais la paix ne va pas revenir de sitôt malgré la présence des dragons. La population va être incitée à boycotter le nouveau curé. Le précepteur des enfants IZARN, un jeune clerc, va être accusé de faire du porte à porte pour convaincre les gens de ne pas avoir affaire au nouveau pasteur.

                Le 31 mars, le commissaire civil est informé que trois marguilliers de cette commune ne voulaient pas continuer leur office avec un curé constitutionnel. Les marguilliers étaient chargés avec le curé du fonctionnement de la Fabrique de l'église et du secours aux pauvres. Les trois démissionnaires, François MERCIER, François LACONDE et Jean RAYNAUD ont été remplacés « en présence du curé constitutionnel MAILHAT et son avis » par François GORSSE, Jean DELARC et Jacques SAGNE.

            Les baziégeois vont devoir supporter le 15° régiment de dragons « de Noailles ». Ils devront fournir le logement, la nourriture et leur paye. Les dragons obligent les commerçants à accepter leurs assignats en paiement mais, par contre, ils refusent que la commune les paie en assignats !

            Cette occupation va durer jusqu’à la déclaration de guerre « au roi de Bohème et de Hongrie », fin avril 1792 – déclaration de guerre en fait à l’Autriche.

 

                Le 16 septembre 1792, l'assemblée communale signifie aux prêtres réfractaires de la commune et du canton, un arrêté du 26 août concernant « l'exportation » des prêtres :

«  Il a été notifié à messieurs PICART, curé de Ste Colombe, BARRAU, vicaire de St Martin, POUILHE, curé de St Orens et ROSTAING, vicaire de Villèle qui habitent dans cette commune une lettre dont la teneur suit :

    Le Directoire de District vient de nous faire l'envoi de la loi du 26 août dernier, relative aux ecclésiastiques qui n'ont pas prêté leur serment ou qui après l'avoir prêté l'ont rétracté et ont persisté dans leur rétractation. Notre ministère nous impose l'obligation de vous en informer. En conséquence, nous vous prévenons que cette loi a été affichée aujourd'hui dans notre municipalité et que d'après l'article 1, vous devez être sortis hors des limites du département sous huitaine et du Royaume dans les quinze jours, le tout à compter de ce jour. »

 

                Le 22 septembre 1792, les prêtres Raymond ROSTAING et  André PICART âgés de plus de soixante ans entendent jouir du droit que leur accorde l'Assemblée Nationale du 26 août dernier et ils désirent rester paisiblement et sans occasionner le moindre trouble dans les lieux que le département voudra bien leur assigner.

            Dans le Midi, comme ailleurs, beaucoup de prêtres réfractaires vont entrer dans la clandestinité, soutenus par une association secrète l'Aa. D'autres vont s'exiler en Espagne pour la plupart et même jusqu'en Angleterre où en 1797, COLLATIER ex-vicaire de Baziège vit à READING[12]. Il est curieux que l'abbé GUYON n'ait pas été cité dans cette adresse aux curés réfractaires. Le 30 septembre, il est dans Baziège où il demande un dégrèvement d'impôts. Son grand âge, 67 ans, lui permet de jouir des mêmes avantages que ses collègues ROSTAING et PICART.

                Le 20 septembre 1792, les armées françaises contiennent à VALMY l'avance des armées ennemies. La Convention se réunit, abolit la royauté et proclame la République. A partir du 1er décembre, les délibérations municipales porteront la mention « An I de la Répu­blique ».

                Le 23 septembre, à Baziège, ces nouvelles ne sont pas encore connues, mais pour exécuter la loi du 14 août dernier, les officiers municipaux, messieurs MAILHAT, Curé, CARRATIE, juge de paix, PUJOL, greffier du juge, BONNES greffier de la commune et régent des écoles et tous les citoyens composant la garde nationale vont prêter serment chacun à tour de rôle, la main levée sur la passion de Jésus-Christ

« ont promis et juré d'être fidèles à la Nation et de maintenir la liberté, l'égalité ou de mourir en la défendant. »

 

         En décembre 1792, le curé GUYON « remplacé de Baziège » demande que sa pension de 500 livres lui soit payée à Toulouse où il désire fixer sa résidence.

 

            Le 13 nivôse An II (2 janvier 1794) on apprend lors de la modification pour l’établissement de la contribution mobilière que l’abbé ROSTAING et le curé GUYON sont déportés.

           

            En ventôse An VI, le département met en garde l’administration municipale du canton[13] contre les prêtres réfractaires et demande une enquête. On apprend ainsi que la citoyenne MARTIN affirme

« qu’elle a chez elle le citoyen GUYON, ancien curé de Baziège, autorisé provisoirement à rester à Baziège. Cette autorisation deviendra définitive, fin thermidor, vu l’âge et les infirmités du citoyen Guyon. »

 

            A la fin de l’insurrection royaliste de l’An II - (octobre 1799), l’Assemblée Municipale cantonale demande que les prêtres réfractaires mis en surveillance dans la commune soient arrêtés et conduits sous bonne escorte à Toulouse. L’administration locale demande que cette mesure ne soit pas appliquée à GUYON, ex curé de Baziège car :

« depuis le 24 prairial, à la suite d’une apoplexie, il est paralysé de la moitié du corps ; il lui est impossible de se lever et de s’habiller, en un mot de pourvoir à aucune nécessité de la vie sans l’aide de deux domestiques. »

            L’assemblée propose, si le département  exige la présence de GUYON de « l’amener au chef-lieu dans une charrette ».

            En thermidor An VIII (Août 1800), on retrouve lors d’une enquête sur les lieux de culte la trace de l’abbé GUYON chez la veuve MARTIN chez qui il réside encore.

           

            En 1801, sous le Consulat, Bonaparte signe le Concordat avec le Pape Pie VII qui ramène la paix religieuse en France. Claude Guyon, qui semble bien remis de son apoplexie,  retrouve sa  cure. Il est âgé de 77 ans. Il est secondé par un vicaire CAMY. Le 18 floréal An 11 - (8 mai 1803), la municipalité décide de leur donne

 "annuellement une somme de 100 F pour leur tenir lieu de loyer et pour leur ameublement. " "Quant à l'ajustement de traitement proposé par le Maire, le Conseil ne se trouve pas suffisamment instruit sur le traitement positif dont ils jouissent, et vu qu'au moyen de ce traitement et des oblations qu'ils reçoivent journellement des propriétaires riches de cette commune, ils sont d'une honnête aisance. "

 

           

Le 28 pluviôse An 13 - (17 février 1805)

            C'est la dernière fois qu'il est fait mention du curé Guyon dans les délibérations du Conseil Municipal de Baziège :

"Le premier prêtre (Guyon) est un vieillard octogénaire, infirme et pauvre qui a bien servi la paroisse pendant 40 ans et mérité l'estime de tous. "

 

            Le 15 août 1806[14],  le curé GUYON, âgé de 82 ans, décède dans la maison MARTIN à 2 heures du soir.

 

Membre du bas clergé durant les Etats généraux, choisi peut-être à cause de son grand âge, il resta fidèle à son ordre tout au long des débats. Même s’il n’eut pas l’aura d’un Seyès, il n’en demeure pas moins un des éléments essentiels de cette période qui vit la chute de l’Ancien Régime et l’avènement d’un monde nouveau. Ce qui dut, plus d’une fois lui poser pas mal de problèmes de conscience. D’ailleurs, en refusant la Constitution civile du clergé, il prit nettement position. En cela, il fit preuve de courage, tous ses revenus ecclésiastiques lui furent supprimés et il devint proscrit. Rentré dans sa paroisse, il ne fut pas inquiété et même couvert, souvent, par les nouvelles autorités. Sa notoriété, sa vieillesse et son long sacerdoce, au service de tous, dans la même commune furent pour lui un sauf conduit qui lui permit d’échapper aux nombreuses purges qui décimèrent le clergé haut-garonnais. Il est, comme beaucoup d’autres, un oublié de l’Histoire qu’il contribua modestement à faire.

 

                                                                                 

 



[1]    Il représente  M. le Comte PAULO, qui en raison de son âge (il a quatorze ans) ne peut remplir les fonctions de Sénéchal

[2]       Citations d’après le procès verbal de l’Assemblée des trois ordres de la Sénéchaussée de Castelnaudary – Archives de France BA 30

[3]    Prêtre de semaine pour présider l'office ou remplir un emploi

[4]    Prêtre jouissant d’un revenu attaché à un titre ecclésiastique ou nourri par l'église

[5]    Prêtres chargés de dire des messes pour les défunts pour lesquelles ils recevaient des honoraires

[6]    Délégué de la noblesse

[7]    Délégués du Tiers Etat. Martin DAUCH aura rendez-vous avec l'histoire un certain 20 juin 1789.

[8]    La crise financière était une des premières raisons de la convocation des Etats Généraux de 1789. Les caisses du trésor étaient vides et les députés étaient chargés de voter de nouveaux impôts…

[9]    Les feudistes sont des hommes de lois versés dans le droit féodal.

[10]    Cette citation et les suivantes sont tirées des archives communales de Baziège D 14, D 15, D 16, D 17 et des archives départementales de la Haute Garonne.  Elles sont incluses dans l’ouvrage de Pierre FABRE :  Un village du Lauragais pendant la Révolution : Baziège paru en 1989 aux Editions Loubatières

[11]  ESTADENS, membre du Directoire départemental

[12]    JC. MEYER - La vie religieuse en Haute-Garonne sous la Révolution

[13]  Les municipalités communales sont supprimées et remplacées par une administration cantonale qui gère les communes

[14]    Le calendrier révolutionnaire a été aboli le 1er janvier 1806