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ENTRETIEN AVEC FRERE ALDO BENETTI AU SUJET DE L'ANTIQUE BADERA
PAGUS - PLEBES


        Frère Aldo Benetti est un spécialiste de la topographie romaine qu'il a beaucoup étudiée en Italie; il a publié une vingtaine d'ouvrages d'histoire locale et scientifiques et a été amené à étudier l'histoire de notre région à l'époque gallo-romaine notamment à travers la christianisation qui est intervenue au début de notre ère. Au cours d'un entretien, il nous a fait part des résultats de ses recherches. Nous le remercions vivement pour cette contribution à l'histoire de Baziège, durant une période pour laquelle nous ne disposons que de peu d'informations. Frère Aldo Benetti a dédié ce travail en signe de reconnaissance à toute la communauté baziégeoise dont font partie plusieurs de ses proches parents.
Nous présentons dans cet article le contenu de cet entretien, fruit des recherches de Frère Aldo Benetti, en nous appuyant sur des notes qu'il nous a transmises en français, bien que ce ne soit pas sa langue natale et que nous tenons à la disposition des membres de l'association.

        Il est bien connu que Baziège se trouve situé sur une importante voie romaine, cet itinéraire de Narbonne à Toulouse est mentionné à toutes les époques. Mais Frère Aldo Benetti souligne qu'à côté de cette route impériale il existait d'autres routes romaines comme celle qui suivait un peu plus au nord le cours de la Marcaissonne. Il faut savoir que les romains avaient l'habitude de construire deux routes : la voie consulaire impériale pour le trafic rapide et, parallèlement à celle-ci, la voie populaire pour le trafic lent et les troupeaux. En Italie du Nord-Est, il s'agit des "Via Pelosa" qui passent à 2 ou 3 km de la voie impériale.
        La voie romaine principale venant de Narbonne passait près de Montgaillard (station Vicesimum, du latin vicesima vingtième, XX milles), puis à Badera qui conserve la borne milliaire portant l'inscription XV milles où elle franchissait l'Hers (anciennement Ircius) pour aller vers Montgiscard, Deyme dont le nom qui pourrait provenir du latin décima (la dixième) évoquerait la distance X milles et arrivait à Toulouse par la porte de Narbonne.
Les bornes milliaires indiquaient les distances à la ville d'appartenance ici Toulouse (Agros Tolosanus). Elles marquaient aussi des étapes très importantes. Chaque X milles (15 km), d'habitude, on changeait les chevaux , il y avait donc un relais appelé mutatio.
        Chaque XV milles (presque 23 km), il y avait aussi des lieux de repos pour passer la nuit, des stations (statio) car une personne pouvait faire cette distance à pied dans la journée : Badera était donc une statio. L'ospe, c'est à dire le pèlerin, celui qui voyage, trouvait dans l'hostaria ( de laquelle dérive hospitium et hôpital plus tard) toute chose nécessaire pour le voyage(1). La personne chargée de donner des vivres aux magistrats romains et plus tard aux passagers s'appelait parochus (en latin parochus signifie fournisseur des magistrats en voyage). Plus tard les chrétiens virent en cette personne celle qui restaure sur le chemin de cette vie et le terme parochus c'est à dire curé (parroco en italien) avec celui de paroisse (parochia en latin), sont restés jusqu'à nos jours.

        Ainsi ce sont ces premiers "relais" et "hospices" qui sont le point de départ de nos villages actuels. Le pagus (village ou bourg en latin) érigé sur cette première structure romaine est la plus ancienne formation de village ou de commune. Baziège doit déjà être à l'époque romaine un pagus, un grand village. Plus tard, les premières communautés chrétiennes, plebes, (peuple) se rassemblèrent dans un lieu appelé ecclesiam ("ecclesia" en latin assemblée du peuple et plus tard assemblée des premiers chrétiens), c'est à dire "église". L'église située en ce lieu était donc une plebes pagense, c'est à dire une des premières églises, matrice d'autres chapelles. L'hypothèse que Badera était une de ces plebes pagense est étayée selon Aldo Benetti par les traces laissées par la centuriation agraire romaine et le nom de son église.
        Quand on observe sur la carte au 50.000 ème le territoire de Toulouse à Baziège, on s'aperçoit tout de suite qu'il y a des traces de centuriation agraire romaine (terrain divisé en cadres) (2)(3).
        L'un des axes principaux de ce découpage, dit decumanus, correspond à la direction de la voie romaine Villenouvelle-Bagiège et passait par la métairie de Roujairou. Perpendiculairement et parallèlement à cet axe, existent des traces de "centuriation" du terrain qui sont des routes, chemins, ruisseaux....ayant ces orientations.
        Si l'on prend par exemple comme référence la X ème borne milliaire (Deyme), la direction Deyme-Escalquens perpendiculaire au decumanus serait l'un des côtés du cadre pris pour ligne de départ. En faisant l'hypothèse que la centuriation est du type classique (Actus 20x20) soit un cadre de 710,40 m de côté, la distance qui sépare la direction Deyme- Escalquens de Baziège est de 10 centuries, c'est à dire 10 cadres de centuriation; ce dixième cadre de centuriation passe par la XV ème borne milliaire et par Baziège.
        En Italie, Aldo Benetti a trouvé que les plebes sont généralement situés sur les routes romaines tous les dix cadres de centuriation, près de l'intersection des lignes de découpage. Ainsi Baziège est situé au croisement de l'axe principal et de l'axe perpendiculaire Saint Léon-Tarabel.

        Vers le Vème ou VI ème siècle, avec les invasions barbares, l'archevêque de Toulouse, préoccupé par les communautés chrétiennes qui se trouvent sur son territoire, empêchées de se rendre à la cathédrale, érigea quelques oratoires en églises subsidiaires de la cathédrale. De ce fait il donna aux curés de ces oratoires transformés en église, c'est à dire en plèbes rurales, une partie de sa juridiction (de ses pouvoirs); ils disposaient de fonts baptismaux et de toute autorité et fonctions nécessaires selon la loi romaine des étapes milliaires. Par ailleurs ces premières plèbes étant loin de Toulouse sont pluripagense, c'est à dire qu'elles avaient juridiction sur plusieurs pagus (villages). Le curé porte alors le nom de plebanus soit archiprêtre. Ainsi, en supposant qu'Escalquens et Montgaillard Lauragais soient deux de ces pagus, après Toulouse, la première église-mère (plebs pluripagense) serait à Baziège.
        Selon Aldo BENETTI, cette première église prenait aussi le nom de la cathédrale dont elle dépendait, en signe d'unité entre l'archevêque et l'archiprêtre soit entre la cathédrale et la nouvelle plebes c'est à dire la grande paroisse rurale. Pour Baziège, le nom fut Saint Etienne, nom qui était peut être déjà celui du premier oratoire

        Par la suite, les autres oratoires, comme Escalquens.., devinrent des églises (plebs pagense) pour desservir leurs communautés chrétiennes. Enfin, furent érigées des chapelles filiales autour de chaques plebs. Ce fut le concile de Toulouse de l'an 834 (propter asperitatem viarum et tempori) qui pour ceux qui se trouvent loin à cause des fleuves, des bois et autres difficultés, donna aux évêques la faculté d'ériger d'autres chapelles subsidiaires; leurs prêtres furent appelés "chapelains". Plus tard ces chapelles devinrent "paroisses autonomes" comme actuellement.
        De nos jours, la diminution du nombre de prêtres, oblige à retourner aux origines : un seul prêtre dessert plusieurs paroisses.

        Ainsi, selon Frère Aldo Benetti, Baziège qui a été pendant longtemps le centre principal de plusieurs communes, serait un de ces pagus romains sur lequel aurait été érigé l'une des toutes premières et principales paroisses rurales.

Notes :

(1) - L'existence d'un "hôpital" à Baziège est relaté à diverses époques. Généralement ces hôpitaux qui jalonnent la voie romaine sont les traces des grands pèlerinages du Moyen âge faits à Saint Jacques de Compostelle. Ils sont distants de 3 à 4 km : Montgiscard, Baziège, Donneville, Pompertuzat (l'Espital), Castanet disposaient d'un hôpital. Celui de Baziège était-il la survivance de l'hostaria de l'antique statio de Badera?
(2) - Centuriation vient du latin "centuriatus" qui signifie en principe : partagé en centuries c'est à dire en lots de 200 arpents soit d'une centaine d'hectares. Aldo Benetti considère des parcelles de 710,40 m de côté, soit 50 hectares environ).
(3) - Ce découpage permettait d'attribuer les lots de terres aux colons ou de récompenser les vétérans c'est à dire les soldats, qui après un long temps de service quittaient l'armée avec quelques avantages.

Propos recueillis par Lucien Ariès.