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GRENIERS-SILOS DE BAZIEGE

(Jacques HOLTZ)

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Vue générale du village. Les anciens greniers
rivalisent d'altitude avec le clocher.


       Depuis 1936, Baziège se signale aux voyageurs empruntant route ou voie de chemin de fer par ses silos à céréales repérables de loin : premiers silos construits d'abord, ce qui n'est pas la moindre de leur curiosité, au centre du village, venant contester par leur hauteur et leur masse la suprématie de l'église voisine ; puis le groupe des silos modernes situés aux confins du village en bord de voie de chemin de fer et de route.



       Un peu d'histoire...

Cliquer sur l'image pour l'agrandir        Cette "vocation" de stockage est née en 1936, lorsque après de nombreuses crises du cours des céréales, et le blé étant considéré comme une denrée stratégique, le pouvoir politique, avec le Front Populaire, décide d'encadrer le marché du blé, jusque là tenu par les seuls négociants en grains : c'est la création de l'Office National Interprofessionnel du Blé (ONIB), dont le rôle aura été, entre autres, de permettre la construction de moyens de stockage (silos) afin de régulariser l'écoulement de la production et donc les prix, mission de construction qui a été dévolue aux coopératives céréalières. Peu nombreuses à l'époque, elles se sont développées grâce aux moyens financiers mis alors à leur disposition.
       A Baziège, le négoce des céréales était tenu par une famille de négociants, les Marty, qui donnèrent plusieurs maires à la commune et leur nom aux allées qui longent les premiers silos. Ils possédaient un grenier, rue de la porte d'Engraille, situé à deux pas de la Halle aux Grains où se faisait le marché du grain apporté par les métayers des alentours.

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Les greniers Marty : grand bâtiment à droite, très ajouré.

       Ce grenier, dont une partie existe encore, incluse dans les bâtiments actuels, servait à stocker les céréales achetées à la Halle avant expédition vers les différents moulins et minoteries de la région. Avec l'institution de l'ONIB et l'encadrement du marché du blé, les Marty prirent conscience que, comme pour beaucoup de leurs collègues un peu partout en France, leur temps était révolu. Aussi, avec une certaine intelligence des situations, furent-ils, avec quelques agriculteurs de Baziège et des environs, à l'origine de la création de la "Coopérative Aagricole Lauragaise des Producteurs de Blé", et en en étant les premiers dirigeants.

Logo de la coopérative céréalière dans les années 1945

       Une des premières missions de la nouvelle Coopérative fut bien entendu de construire un premier bâtiment de stockage de 80 000 qx, correspondant, alors, à la production de la région, financé pour moitié par l'Etat. Suivront un 2ème bâtiment adjacent construit au début de la guerre 39-45 pour augmenter (déjà) la capacité de stockage (20 000 qx), puis un 3ème, également adjacent au 1er, construit en 1950, correspondant à l'arrivée des maïs hybrides dans la région et des besoins spécifiques de tri et de séchage qu'ils nécessitaient (10 000 qx).

Logo de la coopérative céréalière dans les années 1955.
Ont été rajoutés les silos à maïs avec leur tour de séchage.


       Avec la forte augmentation de la productivité des céréales (utilisation d'engrais, de produits phytosanitaires, de variétés nouvelles à haute production, ...) jointe à la "révolution" de la moissonneuse-batteuse, d'une part, et les évolutions du transport (on passe de la péniche au train ), d'autre part, ces bâtiments s'avérèrent vite trop petits et d'un emplacement peu judicieux. Aussi, à partir de 1964 le stockage commença à se transporter à l'extérieur du village (Lastours), bénéficiant à la fois de l'espace pour s'étendre au fur et à mesure des besoins grandissant de stockage et de la proximité de la ligne de chemin de fer Bordeaux-Marseille.
       Du système "grenier-silo" on passe alors aux silos "modernes" proprement dits, c'est-à-dire à des constructions verticales constituées de cellules cylindriques en béton, aujourd'hui familières dans le paysage. Ainsi en quelques années on passe d'une capacité de stockage de la Coopérative de 180 000 qx (1964) à 700 000 qx. Avec l'installation de la SICA Blé en 1975 (dont la "CALPB" est majoritaire) sur le même site, c'est 500 000 qx supplémentaires qui viennent s'ajouter, donnant à Baziège le "titre" de plus important site de stockage de Midi-Pyrénées. Les greniers-silos du centre de Baziège perdent peu à peu leur intérêt, devenant un bâtiment d'appoint pour le site de Lastours, jusqu'à la désaffection totale de leurs fonctions de stockage en 1985.
       En 1980, la "CALPB", entre temps devenue après la guerre "Coopérative Agricole Lauragaise des Producteurs de Blé et de Céréales secondaires", change son nom en "Coopérative Agricole de Baziège". En 1991, celle-ci fusionne avec la "Coopérative des Producteurs de Blé", dite "Coop de la rue Ozenne", du nom de son siège à Toulouse, pour donner une nouvelle structure : "La Toulousaine de Céréales", dont le siège est à Toulouse. Mais ceci est une autre histoire...

Cliquer sur l'image pour l'agrandir Port des Landes au bord du Canal du Midi. Les péniches y accostaient et des camions versaient le grain en vrac dans leur ventre.

       Les greniers-silos du centre de Baziège

       Dans le cadre de cette journée du patrimoine, ces bâtiments nous intéressent à plusieurs titres. Ils témoignent à la fois d'une technologie de stockage et de conservation des céréales révolue, mais également d'une époque transitoire entre deux mondes agricoles, où l'on est passé de la moissonneuse-lieuse et du battage à la ferme à la moissonneuse-batteuse ; du transport du grain en sac au transport en vrac ; des variétés traditionnelles aux variétés hautement productives ; du pelletage manuel ou mécanique du grain (pour éviter son échauffement) à la ventilation mécanique ; de la circulation du grain par péniche à celle par train, etc...

       La conservation des grains

       C'est une des plus vieilles questions du monde : comment conserver des grains sur une longue durée ? Soit pour répartir sa consommation tout au long de l'année entre deux récoltes, soit pour en faire commerce et s'adapter aux fluctuations de la demande, sachant que le grain est un être longtemps vivant, susceptible d'évolutions biochimiques, donc d'échauffement et de fermentation, et qu'il excite bien sûr la convoitise de rongeurs, insectes et autres oiseaux !

       La solution "traditionnelle" la plus répandue dans le monde et le temps a été celle d'enfouir le grain dans des fosses creusées dans le sols, fermées de façon hermétique. L'absence d'air, combinée au dégagement de gaz carbonique du le grain lui-même, bloque en effet toute possibilité de fermentation et permet ainsi la conservation du grain à long terme. On trouve ces fosses dans notre région essentiellement dans le Gers et le Quercy. En Lauragais, peut-être à cause de conditions pédo-géologiques peu favorables, on ne trouve guère de ces fosses. Les céréales qui n'étaient pas vendues étaient stockées dans des greniers, aérés par de petites ouvertures. Les grains n'ayant pas toujours été rentrés dans les meilleurs conditions de séchage, il ne fallait pas dépasser des hauteurs de 15 à 40 cm d'épaisseur, et les pelleter à la main pour éviter qu'ils ne s'échauffent.
       On voit donc que le problème se posait pour le stockage des grains en grande quantité, en particulier pour les négociants. En la matière, le stockage en silos hermétiques, malgré un certain nombre de recherches n'aboutirent pas , sauf cas particuliers, à des solutions industrielles. Et les silos modernes venus d'Amérique, avec ventilation mécanique du grain, ne se développèrent en France, dans leur solution actuelle, que depuis la dernière guerre.

Cliquer sur l'image pour l'agrandir Vue intérieure des silos de 1935.

       En attendant, il fallait trouver des solutions.
       Avant 1936, les négociants du Lauragais, et d'ailleurs, utilisaient un moyen relativement simple de pelletage mécanique pour éviter l'échauffement du grain : un bâtiment avec plusieurs étages (le grenier Marty à Baziège en avait 2) séparés par des planchers en bois, un élévateur à godets pour monter le grain à l'étage le plus élevé, des trappes dans les planchers pour faire passer périodiquement, en fonction de la température, le grain d'un étage à l'autre par simple gravité, ce qui permettait de l'aérer et donc de faire baisser sa température.

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Système d'élévation des grains par
godets enfermés dans les colonnes.


       Compte tenu de la place prise par la famille Marty dans la gestion de la nouvelle coopérative créée à Baziège, c'est dans le développement de cette technique connue par elle que s'est orientée la construction du 1er bâtiment achevé en 1937, ainsi que le 2ème bâtiment construit en 1940. Le 1er bâtiment comprend 4 étages, avec des planchers en béton, soutenus par des piliers également en béton. Le 2ème bâtiment ne comprend, lui, qu'un seul étage. Les planchers sont semés de petites ouvertures permettant de laisser passer le grain d'un étage à l'autre, fermées par de petites trappes commandées par des câbles depuis une petite coursive. De nombreux aménagements annexes ont été apportés au cours du temps. Ainsi, avant le transfert des activités de stockage au site de Lastours, des essais de ventilation mécanique du grain dans les 2 premiers bâtiments ont été effectués, dont on voit la trace encore aujourd'hui avec les gaines toujours en place.

Cliquer sur l'image pour l'agrandir Intérieur des silos de l'extension des années 60. L'aération des grains se fait par le plancher grâce à des canalisations.

       Le 3ème bâtiment, construit en 1950 ne répond pas à ces critères puisqu'il était destiné à trier et sécher le maïs (plus humide que les céréles à paille), avec d'autres méthodes (séchage qui demande de l'air chaud-et non ventilation, qui suppose de l'air froid).

       Architecture et esthétique

       On est bien en présence d'un bâtiment industriel, où le béton domine, mais où la touche esthétique n'est pas absente. En témoignent à l'extérieur l'équilibre des formes avec les différentes pentes de toit, les gênoises, ...
       L'oeuvre est celle d'un architecte toulousain, Thillet, et d'un entrepreneur, Bailly, dont un fils deviendra l'architecte des silos de Lastours.