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LES CRAPOUILLOTS DU MONUMENT AUX MORTS DE BAZIEGE.


(J.F. DELPOUX - P. FABRE)


           Le Monument aux Morts de Baziège est entouré de deux petits mortiers peints en noir, souvenirs de " la Grande Guerre ".
           Quelle est l'histoire de ces pièces d'artillerie dites " crapouillots " ? C'est ce que nous allons essayer de vous raconter dans les lignes suivantes.
           Il faut savoir que lorsque la Grande Guerre éclate en été 1914, l'armée française dispose à l'époque du meilleur canon au monde, le fameux 75. Mais, très vite, le front se stabilise et nos 75, à tir tendu, s'avèrent incompétents pour cette guerre de tranchées qui commence.
           Les allemands, rarement en retard d'une guerre, ont su tirer des conclusions pratiques du récent conflit russo-japonais et disposent alors d'une vaste gamme d'artillerie de trachées composée d'engins légers, rustiques, de petite portée, à tir courbe pour détruire les barbelés, les tranchées et abris de l'adversaire .
           En face, nous ne disposons de rien d'équivalent ; aussi a-t-on recours aux expédients les plus divers. C'est ainsi qu'on ressort de nos arsenaux de vieux mortiers de 15, en bronze, datant de Louis-Philippe, ayant servi en Crimée en 1855. Ces canons, en forme de crapauds, vont entrer dans la légende ; on les appellera les " crapouillots " de même que les matériels qui leur succèderont ainsi que les hommes qui les serviront.

Précurseur du mortier de 58, ou antiquité, un " crapouillot " de juillet 1915… Remarquer l'air dubitatif des soldats posant pour la photo du journal destiné à " soutenir le moral de la population " : l'Image de la guerre.

           Tout ce qui peut réconforter les fantassins inquiets par le fait que la partie est inégale est improvisé d'un bout à l'autre du front. " Aboutir, aboutir vite, sortir quelque chose ; quelque chose même d'imparfait, peut-être, voire même d'hérétique, mais quelque chose enfin qui vaudrait toujours mieux que ce qui existait, c'est à dire rien. " Ainsi s'exprime le commandant Duchène sous la pression des évènements et du GQG qui créé le mortier de 58 n°1 fin janvier 1915 qui sera suivi par le modèle 58 n° bis puis en avril 1915 par une version plus lourde et plus puissante, le modèle 58 n° 2 qui est le plus célèbre des crapouillots, le modèle le plus répandu, présent sur presque tous les fronts de la Grande Guerre.

           En réponse aux minenwerfer allemands, et après plusieurs engins de circonstance plus ou moins opérationnels, les Français, par l'intermédiaire du commandant DUCHENE, mettent au point leur premier canon de tranchées :le mortier de 58 mm DUCHENE. Ce petit canon à tir courbe sera employé sur tout le front avec succès si l'on en croit les témoignages d'époque allemands. Plusieurs types de munitions seront utilisées sans parcimonie vu le nombre de projectiles, éclatés ou pas, que l'on retrouve de nos jours sur les champs de bataille. Tous se caractérisent par leur queue porte projectile de 58 mm (cylindrique et en métal creux) et la charge proprement dite stabilisée par quatre ou six ailettes, entièrement disproportionnée par rapport au diamètre de la bouche à feu. Ils furent introduits pour la première fois lors des offensives de Champagne du printemps 1915. Les premiers témoignages laissent apparaître que l'explosion ne se faisait que rarement sur les terrains très en pente(comme un rebord de tranchée).

           Aujourd'hui, nous pouvons admirer chaque jour les deux exemplaires présents de chaque côté de notre monument aux Morts et en parfait état de conservation.
           Le mortier de 58 n°2, à la différence du 1er modèle, n'est plus un engin bricolé. Le poids en batterie atteint les 450 kg en comptant les madriers de sa plate-forme d'assise. Le tube, seul, pèse 45 kg, les flasques 65 kg pièce.
           Bien entendu, l'ensemble est démontable. Il faut tout de même près de 16 hommes pour le transporter à bras jusqu'à sa position au fond d'une tranchée. Selon le terrain, la mise en batterie, avec aménagement des abords peut durer de quelques heures à plusieurs jours. Sur piste ou routes, des roues sont adaptables sur les mandrins latéraux.
           Le tube du mortier s'incline sur un axe situé à sa base et se règle en hauteur par des papillons traversant les glissières situées de part et d'autre su tube. L'angle de tir peut varier de 80 à 54 degrés. Le mortier, grâce à son auget pivotant a un débattement latéral de 35°
           Le mortier de 58 n°2 est conçu de telle façon qu'il puisse lancer soit la bombe légère de 16 kg, soit celle de 45 kg dont 24 kg d'explosif à 350 m.
           En fait, il lancera de nombreux types de bombes jusqu'à 1500 mètres, toutes à ailettes, munies d'une queue pénétrant dans le tube à canon d'un diamètre de 58 mm, d'où l'appellation " mortier de 58 ".
           La mise à feu de la charge propulsive introduite dans le tube est obtenue grâce à une étoupille glissée dans la lumière ou par allumeur à retard de 5 secondes. La bombe est munie d'une fusée percutante.
           Le crapouillot de 58 n°2 remplit parfaitement sa mission aussi bien pour préparer les attaques, c'est à dire ouvrir les chemins dans les barbelés, atteindre les défenseurs derrière les parapets des tranchées, crever les abris, bouleverser les nids de mitrailleuses et aussi lutter contre les lance-bombes de l'ennemi.
           Tout au long de la guerre, d'autres modèles de crapouillots vont voir le jour, leur calibre ne cessant d'aller en augmentant, leur nombre ne cesse de croître également ; le point culminant de cette progression sera l'année 1917 où compte-tenu des pertes on peut estimer à 4000 mortiers de tous calibres mis en ligne cette année-là, dont environ les trois-quarts seront des modèles de 58 n°2.





           Pour la démolition des premières lignes, les crapouillots avaient fait merveille. Les Tranchées n'étaient plus, dit le lieutenant Petit, du 102eme bataillon de Chasseurs à pied, " qu'un bouleversement chaotique de trous de torpilles béants, entonnoirs gigantesques de six à sept mètres de profondeur dans la terre glaise, où les mottes de terre de plusieurs centaines de kilogrammes ont été projetées comme de simples fétus de paille...."

Crapouillot modèle 1915 et ses servants (L'Image de la Guerre, août 1915)  Acheminement des torpilles vers les " crapouillots " "…Ce n'est pas chose aisée, avec un tel poids (50 kg) de se faufiler à travers boyaux et souterrains et surtout d'éviter les balles ennemies qui feraient éclater la torpille " (L'Image de la guerre août 1915)
Allumage avec une allumette de la mèche d'un mortier type 58. (Images de la Guerre août 1915)
           En 1918, l'artillerie de tranchée commence à diminuer au profit de l'artillerie lourde ; désormais ses jours sont comptés. Avec la fin de la guerre disparaissent à tout jamais les " crapouillots ".

           Aujourd'hui, parmi les 30 000 monuments aux morts que compte notre pays, on peut estimer à environ deux douzaines, les crapouillots les entourant parmi lesquels les deux de Baziège. Ils demeurent les derniers témoins d'une arme improvisée en pleine guerre et qui rendit les plus grands services à nos nombreux fantassins.

Sources :
Archives de l'Artillerie, musée des crapouillots, La Pompelle Reims.
Album des crapouillots 1925, Les Crapouillots : P. Waline, P. Salf.
L'Image de la Guerre n°1 à 78 (1914-1916)

           Lettre d'un poilu de Millau du 26 juillet 1917 sur les effets des crapouillots. " Je viens de visiter, cet après-midi, le Mort-Homme.(lieu de Bataille au Nord de Verdun) Il ne reste plus rien des lignes boches. La première ligne a été "crapouillotée" ; les autres, plus bouleversées encore par des obus de tous calibres, dont les entonnoirs, grands ou petits, se touchent ou se creusent les uns dans les autres. C'est formidable. C'est un chaos fantastique où surnagent, comme sur une mer démontée, des piquets, des réseaux de fils de fer, des rondins d'abris crevés, des grenades boches, des planches déchiquetées, des obus non éclatés et mille de ces épaves lamentables qu'on trouve sur tous les champs de bataille. "
Mortier de 58 n° 2 et son projectile.  


Annexe


Les mortiers de tranchée allemands :

           Dès le début de la guerre, les Allemands étaient équipés en artillerie de tranchées.
           Ils disposaient de Minenwerfer. Du matériel moderne : canon de 76 mm (parfois le calibre est supérieur à 200 mm - le Minenwoler) monté sur châssis à roue dont le tir courbe frappe directement dans la tranchée.
Le glatter minenwerfer:
           La" torpille" qu'il lançait se trouve encore sur les champs de bataille de septembre 1915 en Champagne.
           Voilà qui doit réveiller la mémoire de certains.
           La mise à feu de la pièce se faisait par un cordon.
           Notez que personne à ce moment ne devait se trouver à moins de 15 mètres du lanceur et sans abri.
           La charge complète pour la mise à feu était composée de 800 grammes d'un mélange à 40% de trinite et à 60% de nitrate d'ammonium.
           Un sachet de 500gr et un sachet de 300gr composaient la charge maximum.
           L'explosion de l'engin était assurée soit par une fusée percutante(réputée dangereuse une fois que son épingle de sécurité était enlevée).
           MINENWERFER de plus gros calibre : lanceur de torpilles, sûrement plus terriblement efficace que les crapouillots français, mais par contre moins mobile.
           Utilisés dès le début de la guerre de position, alors que les français n'avaient rien à opposer, ils vont causer de nombreux dégâts et saper le moral des poilus.
           Voici le témoignage que le capitaine Delvert raconte dans Carnet d'un fantassin :
                      "Cette nuit ma Gagna est à chaque instant ébranlée par les minen, explosion formidable, avec une flamme qui monte à 20 ou 30 pieds en l'air, la nuit très claire en est illuminée. [..]
L'arrivée d'un minera est vraiment effroyable. C'est un ronflement comme un monstre aérien qui serre le coeur, puis un écrasement, un craquement à rendre sourd.
Toute la terre est ébranlée. Une tranchée ou un boyau sont bouleversés par un éclatement sur 10 ou 15 mètres de long.
Le déplacement de l'air vient nous gifler dans la Gagna, aucune bougie ne peut rester allumée..."


Un minenwerfer et ses servants.


           Du côté français, on met au point des mortiers plus puissants, capables ce concurrencer les gros calibres allemands.
           Des mortiers de 240 vont lancer des charges de 195 kg à une distance de 2300 m.
                      « Quand les 340 tirent sur Ribareff ou Kotka, on voit comme une flèche bondir la torpille.
Au sommet de sa trajectoire, elle hésite et plonge, fracassant tout.
D'immenses doigts rougeâtres, des éventails de terre, des branches d'arbre giclent vers le ciel, parfois (les corps déchiquetés, des bras, des jambes.
On n'a jamais rien vu, rien entendit de pareil à l'armée d'Orient. »
(Alain Ducasse, Balkans 14-18)