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Un Rapide aperçu du Félibrige
Daniel ESTIEU.


        Première question: mais enfin qu'est ce que le félibrige?
        La réponse donnée par le dictionnaire va nous éclairer tout de suite :
Le Félibrige est une association de félibres..., mais alors qu'est ce qu'un félibre? Passons sur quelques définitions "savantes" et considérons que tout homme qui contribue par ses oeuvres ou succès, à la promotion, au renom, de la langue provençale est un félibre; en effet le Félibre a reçu en son sein non seulement des poètes, des journalistes, des prosateurs, mais aussi des peintres, des sculpteurs des musiciens, ou même des artisans ou des agriculteurs.

        Ainsi notre Félibrige est constitué par un ensemble de personnes issues d'horizons culturels divers mais qui oeuvrent toutes pour la même cause - celle de la culture occitane. L'efficacité de ce mouvement tient ainsi à sa structure, à son articulation.

        Nous avons à la base cinquante félibres "mainteneurs". Une maintenance correspond à un dialecte d'oc : il peut y avoir plusieurs mainteneurs pour le même dialecte : pour la même école. Dans l'ascension vers le sommet de la pyramide il y a ensuite cinquante félibres majoraux, qui ont été élus par un consistoire. Le consistoire est un véritable aréopage formé de sept "capiscols" et du "capoulier". Les capiscols représentent une émanation de félibres majoraux et tout au sommet on trouve le capoulier - ainsi pendant de longues années F.Mistral fut le capoulier du Félibrige.

        L'étoile à sept rayons fut choisie comme symbole représentatif du Félibrige car le 21 mai 1854 date de la fondation du Félibrige, était aussi le jour de la Sainte Estelle et Mistral lui même nous dit que : "... tout cela réglé, l'on s'aperçut, ma foi que le 21 mai, date de notre réunion était le jour de la Sainte Estelle; et tels que les rois mages, reconnaissant par là l'influx mystérieux de quelque haute conjoncture, nous saluâmes l'Étoile qui présidait au berceau de notre Rédemption." C'est dans ces termes que Mistral évoque la création du Félibrige, tout se passe comme si cette naissance était le fruit d'un hasard providentiel naturel... est-ce bien vrai? La vérité de Misral n'est pas en accord parfait avec les événements; en effet le jour de la fondation du Félibrige il est bien prouvé que sur les sept membres fondateurs (Aubanel, Bunet, Glaup (Giéra), Matieu, Roumanille, Tavan et Misral bien sûr), seulement cinq étaient présents... mais enfin il y eut en 1323 les sept troubadours toulousains... et le nombre sept exerce un tel magnétisme!

        Ainsi l'avènement du félibrige dans la littérature, marque une renaissance de la littérature occitane, littérature qui après avoir été l'orgueil de nombreuses cours d'Europe, fut lentement asphyxiée par l'émergence du français avec la victoire des hommes du nord comme nous dit Emilio Castelar dans la revue Madrilène "Pro Patria" -. "... les hommes du Nord ont vaincu les hommes du midi; les Francs en ont fini avec les Latins, la fille préférée de Rome tombe aux pieds des rudes enfants de la Germanie. Quant à la littérature purement provençale, elle émigre et se transforme vers les dernières années du XIIIème siècle, se portant vers l'est elle va s'incorporer à la littérature italienne qui aura tant d'influence sur la littérature européenne, gagnant à l'ouest, elle va se fondre avec la littérature catalane, qui aura tant d'action sur la littérature espagnole."

        Le mouvement félibréen est lancé, il sera bientôt suivi par les languedociens qui par leur attachement républicain impulseront un élan nouveau et généreux.

        Il ne nous est pas possible d'évoquer le Félibrige sans évoquer quelques personnalités "incontournables" (...) nous pensons bien entendu à Roumanille et à Mistral. Roumanille est né en 1818 à St Rémy de Provence, a fait ses études secondaires dans une pension religieuse où Mistral quelques années plus tard sera lui aussi pensionnaire. Très jeune Roumanille a une intense activité littéraire et il publie souvent dans de nombreuses revues. Très vite il adhère à une association la "Société de la Foi" il y rencontre Théodore Aubanel. et Giéra qui font partie des membres fondateurs du Félibrige (les Primadié).

        Roumanille est foncièrement clérical et royaliste et toute sa vie il sera fidèle à ses engagements.

        Mistral est né en 1830 à Maillane, il reçoit lui aussi une éducation religieuse, mais la révolution de 1848 l'amène à une réflexion quasi utopiste: "un enthousiasme fou n'avait enivré soudain pour ces idées libérales, humanitaires, que je voyais dans leur fleur, et mon républicanisme, tout en scandalisant les royalistes de Maillanc, qui me traitèrent de "peau retournée" faisait la félicité des républicains du lieu, qui étant le petit nombre, étaient fiers et ravis de me voir avec eux chanter la "Marseillaise"."

        Mais Mistral fut surtout un remarquable travailleur, et en 1904 son oeuvre occitane est couronnée par un prix Nobel qui récompense tout particulièrement l'auteur du "Trésor du Félibrige". Toutefois le Félibrige est très souvent attaqué, secoué, par des problèmes d'écriture de la langue provençale; effectivement il faudra beaucoup de temps pour arriver à une orthographe définitive, ou quasiment définitive.

        Mais le félibrige, grand mouvement littéraire, est aussi ouvert aux rumeurs qui viennent de l'étranger, et tout particulièrement aux cris d'alarme poussés par Don Victor Balaguer, écrivain d'expression Catalane qui se dresse contre le rattachement de la Catalogne à la couronne d'Espagne. Obligé de s'exiler avec sa famille Don Victor Balaguer est accueilli à "bras ouverts" par les félibriges provençaux qui lui offrent une fraternelle hospitalité. Toute la littérature Catalane se sentira concernée et l'amitié occitano- catalane sera solennellement scellée le 30 juillet 1867 par la remise par les Catalans d'une coupe d'argent que Mistral consacrera par les strophes suivantes:

Provençau, veici la coupo
Que nous ven di Catalan.
A-de-reng beguen en troupo
Lou vin pur de nostre plant.
Coupo santo
E versanto
Vuejo à pien bord,
Vuel o a bord
Lis es train bord,
E l'enavans di fort

        Le Félibrige provençal va continuer son formidable mouvement de réhabilitation de la culture occitane, mais il nous importe de montrer maintenant que nos poètes languedociens vont dynamiser encore plus énergiquement ce torrent de poésie.

La rencontre Fourès Xavier de Ricard :
        Les attaques de cette jeune poésie sont dirigées vers le Félibrige traditionnel essentiellement constitué de fervents catholiques très souvent royalistes ou pour le moins traditionalistes voire conservateurs, nous sommes dans les années 1875-1876. En 1875 lors d'une réunion de la "société pour l'Étude de langues Romanes", on assiste à la naissance de la "société des Félibres du Languedoc" et un poète de Castelnaudary : Auguste Fourès diffuse auprès des Félibres présents un recueil contenant des nouvelles et des poésies exaltant les valeurs de la nature, de l'humanisme et de la liberté.

        C'est ainsi que Louis Xavier de Ricard d'origine Languedocienne, journaliste, poète, ami de Catulle Mendès, et à l'origine du mouvement parnassien fait connaissance avec Auguste Fourès : " ... Étiez vous à la réunion des Félibres au mois de novembre dernier! Si oui, combien je regrette de ne vous avoir pas serré la main. Nous voulons tous les deux les mêmes choses, et, j'en suis sûr, par les mêmes moyens: le relèvement de la Patrie Romane défigurée et calomniée par la Liberté et dans la Liberté... Vous regrettez comme moi, j'ose l'espérer, qu'un malentendu historique ait poussé certains Félibres à chercher le relèvement du Midi dans les idées qui sont la négation du génie Méridional et avec des hommes qui représentent la force exécrable par laquelle ont été déracinées toutes vos libertés." (Janvier 1876). En fait le Félibrige Rouge vient de voir le jour.

        Fourès est né à Castelnaudary en 1848; issu d'une famille bourgeoise, il participe très jeune à l'activité littéraire locale, il collabore à de nombreuses revues, et ayant perdu son père dès l'âge de quinze ans, il se réfugie souvent chez des proches parents habitant Toulouse, ce qui lui permet de fréquenter très vite, les milieux littéraires toulousains.
C'est un être passionné et d'une extrême sensibilité dont les premières oeuvres écrites en français sont remarquées par Victor Hugo et Sully Prud'homme.

        Après une vie affective malheureuse et une existence matérielle difficile, Fourès meurt à l'âge de quarante trois ans, et nous lègue un immense trésor littéraire dont la richesse n'a certainement pas été complètement exploitée.

        Dans leur quête littéraire, de Ricard et Fourès sont en quelque sorte spirituellement guidés par un personnage haut en couleurs et plus âgé, c'est "l'Aujol", l'aïeul. Il s'agit de Napoléon Peyrat né en 1809 dans un petit village de l'Ariège. Napoléon Peyrat est un pasteur protestant à Saint Germain-en-Laye, féru d'histoire, admirateur de Michelet, auteur d'une oeuvre considérable écrite entre 1870 et 1882 et qui retrace essentiellement "l'histoire des Albigeois"; N.Peyrat est un historien passionné, ce qui amènera Joseph Salvat à dire de cette oeuvre : "histoire vivante et poétique ayant les qualités et les défauts des oeuvres de Michelet."

        Quoiqu'il en soit, de Ricard et Fourès ont été tout particulièrement réceptifs aux affirmations de N.Peyrai et ainsi, nos deux poètes ont été amenés à une expression soudaine et véhémente de leurs convictions.
Les idées originales et nouvelles foisonnent dans la tête de Fourès et de Xavier de Ricard, leur réalisation est toute autre... La revue "La Lauseto" consistue l'organe de diffusion des théories du Félibrige Rouge. Quatre numéros: 1877-1878-1879 et 1885.

        En 1885 avec la parution de la Lauseto c'est la dernière tentative de regroupement de félibres exclusivement républicains-, mais nombreux sont les écrivains occitans qui sont sensibilisés aux théories du Félibrige Rouge (qui n'a jamais existé sous ce titre).

        Dans ses rangs on compte même des écrivains d'expression française, mais incontestablement Fourès en représente la sommité; nombreux sont ceux qui se déclareront disciples de Fourès et le choisiront pour Maître : Félix Gras, Valère Bernard, Charles Mauras etc... tout près de nous le Montalbanais Antonin Perbosc et Prosper Estieu de Castelnaudary assureront avec fidélité et rigueur la pérennité de l'oeuvre de leur Maître; ils consacreront tous leurs efforts à la construction d'une langue occitane rénovée presque déjà normalisée dans un système graphique quasi définitif et connu sous la dénomination système Estieu-Perbosc. Mais le Félibrige Rouge malgré ses excès a tout particulièrement catalysé le fédéralisme au sein du Félibrige, : "... c'est en fait une tendance, un esprit groupant des félibres républicains, anticléricaux, fédéralistes,pour la plupart languedociens. Il n'est pas une scission dans le Félibrice."(J.Salval)
"il est une phase nouvelle du développement du Félibrige ." Pour Louis Xavier de Ricard lui-même.

        Ainsi le Félibrige Rouge montre par sa générosité quelle fut la grandeur et la richesse de notre Félibrige et je ne résisterai pas à l'envie de citer pour conclure un extrait d'une lettre de Mistral à Estieu datée d'avril 1908 :


        "Mon bel Estieu,
        ... La vision poétique et nationale du Midi, quand je regarde du côté de Toulouse, m'apparaît comme un arc-en-ciel qui s'arc-boute d'un côté sur la "Canson de la Crozada" et l'autre sur les chants d'Estieu et de Perbosc, et sous cet arc-en-ciel, signe superbe d'alliance et de réconciliation, je vois luire l'espoir du beau temps à venir..."