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LES PIERRES VENTEES DE NAUROUZE : ETUDE ETYMOLOGIQUE

Lucien ARIES


        Le seuil de Naurouze point de passage de la route des Volsques-Tectosages avant d'être celui de la voie romaine, appelé parfois "isthme gaulois", comme tous les grands passages ne pouvait pas ne pas avoir sa légende. Enveloppée de mystère, la légende des pierres de Naurouze nous est parvenue oralement probablement depuis des temps très reculés comme de nombreux contes grâce aux troubadours, en langue occitane (1)(2). Mais qui était ce géant appelé Naurouze qui dissémina d'un geste coléreux les pierres qu'il transportait pour la construction de Toulouse en apprenant que la ville était déjà construite?

1 - Evolution du toponyme - d..'Alzona à Naurouze

        C'est par le troubadour Ramon de Mireval que nous avons la première mention écrite de ces fameuses pierres au XIIIème siècle sous le nom de "Peiras d'Alzona" (pierres d'Alzone)(1).

Ar soi que se tocan las peiras d'Alzona
Pus premier pot intrar selh que mai dona

        Au XVème siècle, Pierre Soybert évêque de Saint Papoul (1427- 1451) cite dans son ouvrage "De cultu Vinee Domini", parmi les merveilles qui sont dans son diocèse "la rocha de Nau Rosa" entre La Bastide et Avignonet en rapportant la prophétie qu'il dit être répandue dans tout le Languedoc,
"Quand la rocha de Nau Rosa sera en unha, lo moundo perdra Vergonha" (Quand les pierres de Naurouze se toucheront, le monde deviendra dévergondé).
        F. Andreossy, sur le "plan géométrique de la Rigole" de 1664, indique ce lieu sous sa forme actuelle. De même le compoix de Montferrand (fin XVIIème siècle) parle de "terre tout à lentour où sont les pierres de Naurouze lieu dit la Meterie de las peires".

2 Origine d'Alzona

        Alzona qui correspond à la première mention écrite de ce lieu est probablement un hydronyme qui peut être rattaché à la racine pré-indo-européenne, c'est-à-dire préceltique, "al" (3).
        Ce substrat très ancien ("préhistorique") appartient à la langue parlée dans cette région avant l'arrivée des Gaulois (4). Il s'agit d'une racine qui évoque l'eau et qui a donné de nombreux toponymes. Le suffixe -ona est très courant dans les toponymes qui datent de la même époque (Carcassona ler siècle).
        Ce toponyme qui évoque l'eau n'est pas sans relation avec la très réputée fontaine miraculeuse "font d'Alzona" et les thermes romains d'Elusio (Elusiodunum mentionné par Cicéron dans le "Pro Fonteio" (5) tous deux situés à proximité des fameuses pierres.

3 Origine de Naurouze

        a - Etymologie
        L'étymologie de Naurouze peut être recherchée sur la base de "Nau Rosa" qui correspondrait à sa première graphie. "Rosa" signifie en latin "rose" (la fleur) et "nau" est pris généralement dans le sens de "nouveau" (6) du latin "novus". Nau peut aussi être rapproché de "nauda" (nauta ou noue) d'origine gauloise utilisé pour désigner les lieux humides et marécageux. Sur ces bases, il est difficile de trouver une interprétation satisfaisante de ce toponyme. Nau Rosa pourrait aussi signifier "dame Rose" (1). Qui était cette dame dont la renommée était si grande que son nom est resté accroché au destin de ce fabuleux passage ? Il est clair que ces pierres enveloppées de légendes sont connues depuis des temps très reculés, compte tenu de leur position élevée à proximité d'un passage on ne peut plus fréquenté. Dans cette région où chaque petit lopin de terre porte un nom qui évoque le relief, la flore ou tout autre élément caractéristique du lieu (très rarement un nom de personne) (7), le toponyme attaché à ces pierres remonte à la nuit des temps. Parfois le sens de ces toponymes s'est perdu, tel ce champ appelé "Peyre clouque" (probablement "pierre cachée" du latin clancùlo, cacher) à proximité du presbytère de Montferrand non loin de Naurouze, dans lequel a été mis à jour, il y a une trentaine d'années, un site antique (fondations d'une église paléochrétienne et une cinquantaine de sarcophages (8). Les noms de lieux sont bien les témoins de notre histoire.

        En utilisant la méthode des rapprochements bien connue des toponymistes, Naurouze peut être analysé comme Aurouze (Mayerat- Aurouze) dans la Haute Loire ou Auroux en Lozère. Aurouze vient du latin "aura"(3)(9)(10) qui signifie "vent" et qui a donné "auros"-(venté) et aurassa (grand vent) en occitan. La terminaison -ouze ou -ouse vient du suffixe "osus" (osum, osa) utilisé au Moyen âge, d'origine latine et qui marque la plénitude (11) comme dans spinosus (couvert d'épines).

        Il faudrait donc admettre que Naurouze a été formé par agglutination de la préposition en et d'Aurouze, c'est-à-dire d'un toponyme qui évoque le vent comme l'a suggéré P. FOUCHE (10).

        L'addition d'un élément à un toponyme ancien par agglutination de l'article défini (ou d'un fragment d'article), ou celle d'une préposition (ou d'un fragment de préposition), est très fréquente (11). L'agglutination de la préposition "en" réduite à "n" a donné de nombreux toponymes comme Nabirat en Dordogne (anciennement Ebiracum 1283)(9). Par ailleurs dans cette région du Lauragais la préposition en, du latin in (dans, en, sur) est toujours présente dans les noms de lieux et notamment dans les noms de fermes. Le compoix de Montferrand fait d'ailleurs état d'un très grand nombre de lieux-dits aujourd'hui disparus, tous précédés de la préposition "en". Il serait étonnant que celui qui porte les fameuses pierres ait échappé à la règle.
Par ailleurs "aurouse" semble avoir été utilisé dans cette région pour désigner les lieux particulièrement ventés ; de nos jours ces lieux dits semblent avoir disparus. Ainsi un petit sommet (258 m) situé à 3 km au Nord de Naurouze portait le nom de "Montauroux" ou "Pech de Montauroux". Tout près de Naurouze à côté de Majesté il existait un lieu dit Enjauroux (12). Il est probable qu'Airoux est un toponyme qui évoque également le vent.
Dans toute la commune de Montferrand, le vent ne serait présent dans aucun nom de lieu si l'on n'admettait pas que ces toponymes en "auroux", que nous venons de citer doivent leur nom à leur position particulièrement ventée. Mais où serait donc passé le fameux vent de Naurouze?


        b - Le vent en Lauragais
        A. Ditandy, dans sa "géographie du département de l'Aude" indique qu'à Naurouze le vent marin souffle avec tant de force qu'il renverse parfois des charrettes pesamment chargées (13). Il est vrai que Naurouze et le Lauragais en général sont des pays de vents (14)(15) et les jours sans vent sont extrêmement rares. Les vents sont si fortement présents dans la vie quotidienne des habitants qu'ils sont utilisés pour indiquer les directions dans les compoix du Lauragais on trouve "Dauta" à l'Est, "Cers" à l'ouest et Daquilon au Nord (Midy indiquant le sud).
Les très nombreux moulins à vent témoignent également de la fréquence des vents en Lauragais. Ces moulins, dont les ailes étaient courtes par rapport aux moulins des régions du Nord de la France ou des Pays Bas, étaient construits pour résister aux fortes rafales de vent d'autan (14). La première implantation de ces moulins dans le Lauragais remonte au milieu du XIIIème siècle et correspond au tout début de l'implantation des moulins en France (fin du XII, début du XIIIème siècle en Picardie)(15).
        Les gaulois redoutaient particulièrement le Cers, qui renversait leurs édifices, mais ils estimaient lui devoir la salubrité du climat et dans leur reconnaissance en avaient fait un dieu. L'empereur Auguste, lors de son passage à Narbonne lui éleva et lui voua un temple (13).

4 - Conclusion :

        Pour désigner les fameuses pierres, le toponyme Naurouze aurait été substitué à Alzone (peiras d'alzona ou Dalsonne (7) toponyme qui évoque l'eau (fontaine, source) du site antique d'Elusio. Cette substitution progressive serait due à l'abandon et à l'oubli de ce site au profit de Montferrand. Naurouze serait un toponyme qui évoque le vent fortement présent dans la région. Il serait formé par agglutination de la préposition "en" qui accompagne toujours les noms de lieux dans cette partie du Lauragais et de Naurouze (lieu fortement venté). On notera que cette transformation associative qui est la conséquence d'une méprise sur la fonction de la préposition "en" ne change pas la prononciation du lieu dit "Les pierres d'en Aurouze". Le Lauragais serait-il alors le pays du vent (17).

 

 

Bibliographie

(1) A. RAMIERE DE FORTANIER, Naurouze de l'imaginaire à l'histoire. Le Canal du Midi, grands moments et grands sites. Dir. J. Denis BERGASSE; Imp. MAURY Millau (1985) p. 233-237.

(2) P. FALCOU, Hommage à Castelnaudary et au Lauragais, Ed. La Pensée Universelle, 4 Rue Charlemagne 75004 PARIS (1980), p. 168.

(3) A. NOUVEL, Connaissance de l'occitanie. Ses noms de lieux témoins de notre histoire. Editions Terra d'oc 37 Rue de l'Aiguilline 34000 MONTPELLIER (1981), p. 111-24.

4) L. ARIES, Réflexion sur l'étymologie de Castelnaudary. Lettre à Monsieur le Conservateur de la Mairie de Castelnaudary, 29 Avril 1988.

(5) C.-CASTELLA, Montferrand Communauté rurale lauragaise (1789- 1799). Thèse Toulouse 1987, p. 6.

(6) E. VIAL, Les noms de villes et de villages. Lib. BELIN (1985) P. 156 et 46.

(7) Compoix de Montferrand (fin XVIIème siècle).

(8) E. GRIFFE, Les anciens pays de l'Aude dans l'antiquité et au Moyen Age Carcassonne (1974) p. 30-31.

(9) A. DAUZAT et CH. ROSTAING, Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France. Lib. GUENEGAUD, Paris (1984) p. 38-488.
(10) A. DAUZAT, G. DESLANDES et Ch. ROSTAING, Dictionnaire étymologique des noms de rivières et de montagnes en France. Ed. KLINCKSIECK, Paris (1982) p. 178.

(11) A. VINCENT, Toponymie de la France, Ed. Gerard MONFORT Saint-Pierre de Salerne 27800 BRIONNE (1984) P. 257-53.

(12) G. MASSARD, Noms de lieux de Montferrand, Communication personnelle.

(13) A. DITANDY, Géographie élémentaire du département de l'Aude, Carcassonne (1975) p. 29-30.

(14) R. VIALA, Vents en Lauragais, Bull. Soc. Et. Scient. Aude LXXXVII (1987) p. 9-13.

(15) C. DELFAN, L'autan vent fou, Ed. Privat (1986).

(16) C. RIVALS, Le moulin à vent et le meunier dans la société traditionnelle française, Ed. SERG IVRY (1976) p. 54.

(17) L. ARIES, Le Lauragais pays du vent (travail en cours).