L'hôpital St Robert de Baziège.


Pierre FABRE


        Qui n'a jamais emprunté " le chemin de l'Hôpital ", quand la rue du Cers est fermée ou encombrée pour rejoindre le passage à niveau et la route de Labastide Beauvoir ?
        En fait, avant la création de la voie ferrée Toulouse-Narbonne (1852), ce chemin était celui dit de Fourquevaux qui en s'encaissant dans le passage du coteau et en franchissant par un gué, souvent embourbé, la vallée du Rivel, permettait de relier la route royale (le Grand Chemin) qui traversait Baziège à ce bourg voisin.
        Il a été baptisé " chemin de l'hôpital " après que chemin soit déclassé lors de la construction de la ligne de chemin de fer. Il mettait alors en communication la Grand Rue avec un ou des champs ayant appartenus à l'Hôpital St Robert - C'est sur l'un d'eux, devenu terrain communal, que sera édifié, en partie, le lotissement HLM de la Rue des Saules (après avoir été un dépotoir).

        Mais où était donc situé cet hôpital ?
        Il y a quelques années, Jean Odol, m'avait envoyé la copie d'un texte écrit à Versailles en septembre " l'an de grâce 1688 et de Notre Règne le quarante sixième ", une lettre royale d'amortissement qui confirmait la communauté de Baziège dans ses privilèges et biens au sujet de cet hôpital. Lettre signée " par Louis et plus bas par le Roy, Phélypeaux. Visa Boucherat. "
        L'année précédente, le 2 octobre 1687, des commissaires étaient venus à Baziège pour effecteur " le dénombrement " de cet hôpital. Leur ordonnance succincte va nous donner des renseignements plus ou moins précis sur sa situation et son importance :
        " Déclaration desdits habitans que dans ledit lieu, au bout du faubourg du couchant, il y a un hôpital, consistant l'amplacement et enclos d'icelluy, en une maison à bas estage, trois à quatre chambres et un jardin joignant, contenant ledit jardin cinq boisselats terre, et la maison un tiers de boisseau ; confrontant le tout, de levant Jean Esquine, midy Jean Conte, couchant la rue du cimetière, aquilon le grand chemin. Ladite maison et jardin sont califfiées nobles dans ledit compoix.
        Les bâtiments de cet hôpital, au nord (aquilon) sont le long du Grand Chemin ; ils sont séparés du cimetière, à l'ouest (couchant) par une rue " la rue du cimetière ". Un grand jardin à l'est et au sud (au levant et au midy) jouxte les propriétés de Jean Esquille et Jean Conte. "

        Question superficie, les mesures en vigueur à Baziège sont celles de Toulouse. Le boisseau toulousain valant 1,778 are, on peut en déduire que le jardin (5 boisseaux ou boisselats) a une superficie de (1,778 x 5) 8,89 a soit 889 m2 et le bâtiment (1/3 de boisseau) 0,59 are soit 59 m2. Ce qui en fait un ensemble plus que modeste. La maison hospitalière est un simple rez-de-chaussée comprenant entre trois et quatre chambres. Il faut relativiser : ces dimensions sont fournies par " lesdits habitans du lieu " et ne sont confirmés par aucun géomètre ou plan cadastral. La maison hospitalière, quoique modeste, était sûrement un peu plus grande : la mémoire visuelle est rarement une garantie. Ces " dits habitans " avaient-ils seulement visité les lieux ? " Trois ou quatre chambres " selon leurs dires est vraiment une approximation fantaisiste.
        Dans le livre de la Fabrique de la Chapelle de Ste Colombe (rattachée à Baziège) au feuillet de l'année 1666, il est fait mention d'une " aube vieille " qui aurait été donnée à M. ROUZEAU, curé décédé, pour sa sépulture qui a été faite le 6 octobre 1666 dans la chapelle St Robert de Baziège (donc chapelle de l'Hôpital du même nom) comme il l'avait demandé dans son testament.
        Ce qui laisse à penser que dans cette modeste maison, une chapelle permettait aux résidents de faire leurs dévotions et assister à des messes. Vu l'exiguïté des lieux, une vraie chapelle aurait été difficile à y être aménagée. S'il y avait eu une, " les dits habitans " qui renseignaient les commissaires l'auraient signalé ; alors on peut imaginer qu'un un autel consacré meublait l'une des chambres et pouvait faire office de chapelle.


        Depuis quand cet hôpital existait-il ?
        On n'a aucun document sur son origine. La première date qui le mentionne provient d'un document de 1466 qui établit " un cahier des reconnaissances " de cet hôpital dont on ne trouvait déjà plus de trace au XVII° siècle.
        En tenant compte du contexte historique une structure hospitalière s'est installée à Baziège au cours du Moyen Age, au XIII° siècle. Après le traité de Meaux de 1229 qui met fin à l'hégémonie raimondine en Occitanie, Alphonse de Poitiers [1], mari de Jeanne de Toulouse, dans son testament fait état de legs en faveur de nombreux hôpitaux dans toute l'étendue de ses états ; Fanjeaux, Laurac le Grand et Castelnaudary [2] vont en bénéficier . Les confréries de Fanjeaux vont participer à l'entretien de nombreux hôpitaux ruraux.


        Baziège, située sur l'ancienne voie d'Aquitaine, qui reliait la Méditerranée à l'Océan, était un des points essentiels de cet axe : une série de pountils et un pont permettaient de franchir en toute sécurité et en toute saison la vallée de L'Hers marécageuse et souvent sous les eaux en raison des nombreuses crues. C'était aussi la dernière halte à une journée de Toulouse pour les voyageurs, marchands, pèlerins et autres ". Dès le XI° siècle le marché au sel de Baziège, plusieurs fois dans la semaine, draine un flot important de population dans les rues du bourg. Le passage était intense - tout le commerce Narbonne, Toulouse, Bordeaux passait par ce " grand chemin ". Tous les voyageurs n'avaient pas les moyens de se loger dans un des hôtels de la localité. L'étranger démuni, le pèlerin, le pauvre étaient des objets de crainte, d'inquiétude voire de répulsion : on ne pouvait les héberger dans les murs de la ville par risque de vol, de meurtre ou de maladie. Mais la charité chrétienne voulait qu'on leur offre quand même une possibilité de logement dans des locaux où ils pourraient recevoir un soutien tant spirituel que matériel voire sanitaire. D'où la création d'hospices ou d'hôpitaux dans des lieux stratégiques, cols, ponts, montagnes, entrées de ville, lieux de foires… Un jardin souvent contigu au bâtiment, comme celui de Baziège, permettait de cultiver des plantes pour soigner les malades. Pendant longtemps, ce furent les seuls remèdes utilisés dans les petites structures. Géré par la paroisse, cet hôpital va être l'objet d'attentions de la part des consuls qui dirigeaient la communauté.

        Quels financements ?
        Leur fonctionnement dépendait de la charité publique : dons, aumônes, mais aussi de legs : rentes en argent, dons en nature - la literie : draps, matelas, lits, couvertures étaient forts appréciés compte tenue de leur valeur. Dans les familles bourgeoises, nobles ou chez les ecclésiastiques, lors de la rédaction d'un testament, il était fréquent de tester en faveur de l'hôpital sous forme de rentes ou de parcelles de terrain qui étaient mises en fermage - le champ de l'Hôpital à Baziège. L'inquiétude du salut personnel dans l'au-delà, du jugement dernier incitaient les personnes qui, de leur vivant n'avaient pas toujours respecté les préceptes miséricordieux chrétiens, à " s'acheter une conduite ".

        Au royaume du Roi Soleil, les pauvres ne doivent pas lui faire de l'ombre.
        Au XVII° siècle, en 1672, Louis XIV met sur pied une politique répressive à l'égard des pauvres valides, des mendiants et des vagabonds [3]. C'est l'enfermement. Dans chaque grande ville, un hôpital général est créé : on y parque les indésirables en bonne santé. On les fait travailler et on les soumet à une catéchèse intense. Des milices sont chargées de les repérer, de les capturer et de les y conduire. Les malades et les infirmes sont dirigés vers un hôtel-Dieu. A Toulouse, c'était l'Hôtel-Dieu de St Jacques et l'Hôpital St Joseph de la Grave pour l'enfermement.
        Avec la centralisation toulousaine, les petits hôpitaux ruraux n'auront plus de rôle à jouer. Celui de Baziège va être désaffecté, mais ses titres, ses rentes, ses terrains vont être gérés par l'archevêché de Toulouse en accord avec l'Hôpital St Joseph de la Grave, ce qui ne se fera pas sans problèmes. Il va être remplacé par un " bureau de charité ". Après la Révolution, ses revenus alimenteront le bureau de bienfaisance.
Notes

[1]    Frère de Saint Louis

[2]    Histoire des hôpitaux. Direction Jean Imbert. Collection Privat -1982

[3]    Depuis Henri IV, on songeait à une telle solution pour éradiquer le vagabondage et ses conséquences : brigandages, meurtres.

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