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Une grande figure baziégeoise:
Antoine ESTADENS.
par FABRE Pierre.
Il est des hommes qui "font" l'histoire. Il en est d'autres, des besogneux, des moins connus qui servent les desseins de ces grands hommes et leur permettent de tendre vers leurs idéaux. ESTADENS Antoine, s'il n'est pas passé à la postérité par ses actions, n'en a pas moins côtoyé, tout au long de sa carrière politique les grands de son époque, les Brissot, les Robespierre, les Danton, les Roland. Avec ses amis, les Girondins, il a fait corps et défendu leurs valeurs qui étaient aussi les siennes, jusqu'au bout, jusqu'à ce que les Montagnards, poussés par les sans-culottes, réussissent à les éliminer de la scène politique. Rescapé de la Terreur, il reprendra du service sous le Directoire et finira sa carrière politique sous l'Empire, comme il l'avait commencée: comme maire de Baziège.
ESTADENS Antoine est né le 27 avril 1742 à Baziège de Jean-Baptiste ESTADENS, maître serrurier et de Marie Rigaud.
En 1784, il est maître de la Poste Royale du relais de Baziège.
La Poste royale est une institution mise en place par Louis XI, sauveur de l'unité française et désireux par conséquent " de sçavoir diligemment nouvelles de tous costez et y faire , quand bon lui semblera sçavoir des siennes...". A l'origine, faite pour acheminer les courriers royaux, la poste est mise à la disposition des particuliers sous Henri IV et Louis XIII.
Situé sur l'axe Montpellier Narbonne Toulouse, le relais de Baziège était le dernier avant Toulouse ou le premier au départ de cette dernière. D'où son importance. Un règlement fixe les tarifs, interdisant l'envoi de grosses sommes d'argent et de pierres précieuses, mais autorise l'envoi de petites sommes n'excédant pas 100 livres1. Le maître de poste était chargé de maintenir en état une écurie de seize chevaux destinés aux courriers ordinaires qui arrivaient tous les jours, à heure fixe et aux courriers imprévus qui variaient selon la conjoncture économique ou politique.
Le relais de Baziège était situé à l'entrée de Baziège, dans la Grande Rue, du côté de Villenouvelle, à l'emplacement de l'ancienne Halle aux Marchands.Les bâtiments de l'ancienne poste aux chevaux ont été achetés par la municipalité, dans les années 1860, et démolis afin de permettre l'édification de la Halle aux Marchands. Cet emplacement est aujourd'hui occupé par la Maison des Associations et le Crtédit Agricole.
De par sa fonction et sa position sociale, ESTADENS était un bourgeois. Il possédait des biens, terres et bois2. Il avait porté le titre de co-seigneur et était un des plus forts contribuables baziègeois.
Mais c'était un bourgeois "éclairé" imprégné des nouvelles idées de son époque. De par sa position, la fréquentation de sa clientèle, très au courant de ce qui se passait dans la région, dans le royaume, pourvu d'une élocution facile, il va vite s'imposer dans la vie de la cité.
En 1784, il est désigné par le Conseil de Communauté, Premier Consul et quand on sait l'importance attachée à cette distinction, on peut déjà mesurer sa notoriété3.
Sitôt en place, il va devoir défendre les intérêts de la Communauté baziégeoise contre la rapacité du Comte de LABOUCHEROLLE, résidant au Château de Lastours et seigneur sous-engagiste de Baziège, titre que les consuls baziégeois lui contestent4. En 1785, c'est l'affaire du four banal. Le fournier, soutenu par le comte, propriétaire du four, lèse les intérêts de la population la plus déshéritée du village. En 1788, le comte, à court d'argent, exige des droits d'albergue tombés en désuétude, sur les anciens fossés du fort de Baziège5. D'autre part, le comte exigeait des consuls qu'ils viennent, lors de leur nomination, le saluer et le reconnaître comme châtelain du lieu. Il refuse de payer sa part d'un emprunt souscrit par la communauté, il fait des caprices avec son banc réservé, à l'église. De procès coûteux en vexations et brimades, les édiles baziégeois sont soulagés lorsque le roi annonce la convocation des Etats Généraux pour le printemps 1789.
Comme le voulait la tradition, ESTADENS, en 1788, au bout de quatre années, laisse sa place de Premier Consul et propose Germain CLAUZEL, notaire et avocat au Parlement de Toulouse, pour lui succéder. Il reste membre du Conseil politique de Communauté et participe le 11 mars 1789, à la cérémonie d'élection des trois représentants de la Communauté qui iront à la Sénéchaussée de Castelnaudary élire les deux députés de l'ordre du Tiers Etat qui monteront à Versaillles. Sont désignés CLAUZEL, premier Consul, ORTRIC, bourgeois et co-seigneur, et ESTADENS, ancien premier consul et maître de la poste royale. Le cahier de doléances qu'ils ont rédigé et qu'ils vont présenter à la Sénéchaussée "s'élève contre les abus de la féodalité, des parlements et des gabelles."
Le seize mars, nos trois délégués participent à Castelnaudary à l'ouverture de l'Assemblée de la Sénéchaussée de Castelnaudary. Les débats vont se poursuivre jusqu'au 26 mars et se terminer par la désignation des deux députés de la Sénéchaussée : Martin DAUCH6 et DEGUILHERMY.
Les évènements de juillet ne sont connus à Toulouse que le 20. Vers la fin du même mois, des émeutes ayant pour origine la rareté du blé se produisent à Toulouse et ont des répercussions sur le marché de Castanet. Le péril se rapprochant de Baziège, grand marché aux céréales, l'assemblée communale et les consuls décident de la création d'une milice bourgeoise. Elle prend le nom de garde nationale en septembre 1789 et ESTADENS en est désigné le commandant en chef et doit l'organiser. Les bourgeois en sont les cadres et le gros de la troupe est assuré par le peuple qui sera rémunéré pour les prestations qu'il aura à accomplir. Le 30 novembre, ESTADENS annonce que "la troupe compte 150 volontaires dûment assermentés. Ils sont tous décidés à servir le Roi et la Nation, à contribuer de toutes leurs forces au maintien du bon ordre et de la tranquillité publique".
Quelque temps après la nuit du 4 août et la nationalisation des biens du clergé, ESTADENS intervient à l'assemblée de communauté du 16 décembre 1789 en mettant en cause la charge de certains prêtres obituaires7 de Baziège qui n'assurent pas leurs fonctions comme ils le devraient.
En février 1790, ont lieu les premières élections municipales dans un rituel nouveau pour tous et compliqué. Le 8 février, au deuxième tour, ESTADENS "bourgeois de cette ville" a eu la majorité absolue des voix (67 sur 105) et est élu maire, le premier maire de Baziège. Etant commandant en chef de la garde nationale, il opte pour la mairie. Le 21 février, les élections étant terminées, le maire et son conseil municipal prêtent le serment "de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution du Royaume, d'être fidèles à la nation, à la loi et au Roi et de bien remplir leurs fonctions."
Glissons nous,
en catimini, ce 25 février dans les rangs du Conseil Général
de la commune assemblé dans l'Hôtel de Ville et écoutons le
Maire prononcer son premier discours en occitan bien sûr que la
traduction française appauvrit en sonorités :
"Recevez
ici, mes très humbles remerciements et toute ma reconnaissance
de l'honneur que vous m'avez fait de me placer à votre tête.
Pénétré de votre bonté, je redoublerai de zèle pour soutenir
les intérêts de la commune.
Voici la
première séance que notre ville doit tenir dans le sein de la
Liberté. Vous n'y voyez plus le surveillant du despote8. A qui
devons nous ce grand bienfait? J'aurais tort de le taire, je
serai même coupable. C'est premièrement à l'Etre Suprême
(Dieu), qui fatigué de la tyrannie exercée sur son pauvre
peuple a déposé la cour9
du monarque le plus vertueux et le plus bienfaisant, a brisé les
chaînes du despotisme subalterne qui nous accablait10
secondé par les respectables membres de l'Assemblée Nationale.
Nous devons donc, messieurs, tourner nos premiers regards dans la
carrière de la Liberté vers le ciel, lui faire l'hommage de
tous nos coeurs, lui offrir un Te Deum en actions de
grâces."
Ce discours
dithyrambique, en trompe-l'oeil, porte déjà en lui les germes
des évènements futurs : on passe sous silence l'action du
peuple parisien, les membres de l'Assemblée Nationale sont
simplement respectables, seul, le roi, qui a toutes les
qualités, est à l'origine de tous les changements, et cela par
la volonté de Dieu. A la décharge d'ESTADENS, on peut penser
que l'auditoire auquel il s'adressait n'en attendait pas moins et
entrer dans le détail sordide des péripéties politiques et
événementielles (et surtout parisiennes) aurait entaché l'aura
dont bénéficiait, dans nos campagnes, le Monarque, Roi par la
grâce divine.
En avril 1790,
ESTADENS est confronté à une dissension à l'intérieur de la
garde nationale. A la suite de sa démission pour investir sa
charge de maire, ESTADENS a été remplacé à la tête de la
garde par IZARN, ancien co-seigneur qui ne croit pas aux temps
nouveaux et qui fait bloc avec LABOUCHEROLLE. IZARN a
réorganisé la garde nationale avec des hommes à lui qui
entrent en conflit avec ceux recrutés par ESTADENS lors de la
création de la première milice. Sur fond de querelle religieuse11, une campagne
de calomnie est lancée contre le maire "homme sans foi
ni loi. Il voulait se prêter à la destruction de la
religion...". Des placards diffamatoires circulent en
ville et demandent même la pendaison du maire et des officiers
municipaux. L'affaire s'envenime, on en vient aux mains et même
un partisan du maire "a eu la tête fracassée".
ESTADENS prend un arrêté, sorte de couvre-feu, interdisant les
réunions nocturnes, les attroupements de plus de trois personnes
et le port d'armes ou de bâtons dans les rues sous peine de cinq
livres d'amende et plus s'il y a récidive.
Pour couper court à toutes les rumeurs et donner des gages de bonne volonté à l'égard de la religion, le maire et les officiers municipaux prennent la tête du cortège qui se rend annuellement en procession à Notre-Dame de Roqueville12.
En 1791, IZARN, devient vice-président au directoire du district de Villefranche. A la suite d'une question d'héritage, ESTADENS est désavoué et accusé d'abus de pouvoir par le district de Villefranche. Le soir du 16 janvier, ESTADENS démissionne de sa charge de maire et demande son remplacement. N'a-t-il pu supporter d'être sous la tutelle administrative d'IZARN, vice-président du directoire de Villefranche ou tout simplement a-t-il démissionné afin d'être libre et de pouvoir commencer une carrière politique? Il semblerait que cette raison soit la plus vraisemblable car au printemps 1791, ESTADENS est élu administrateur du département.
Il s'éclipse
momentanément de la scène baziégeoise et reparaît en novembre
1791 en tant que Major de la garde nationale. En décembre 1791,
une lanterne est installée vis à vis de la poste au chevaux.
ESTADENS reste maître de la poste aux chevaux. En cas d'absence
ou de décès du maître de poste, sa femme pouvait en assurer la
continuité comme cela s'était déjà passé à Baziège dans
les années 174013.
En février 1792,
le Directoire du département, dont ESTADENS fait partie, impose
à Baziège un curé constitutionnel dont personne ne veut. La
municipalité, dont l'homme fort est maintenant IZARN, veut
conserver le curé GUYON14
qui a refusé de prêter le serment constitutionnel mais qui a
l'assentiment de toute la population. Elle accuse ESTADENS de
mauvaises dispositions à son égard et de rancune : "il
voit dans autrui des intentions qui n'y ont jamais existé et il
croit son autorité lésée..." ESTADENS, dans une
lettre adressée à ses collègues de l'administration
départementale, fustige la conduite de "la municipalité
(qui) a besoin d'un coup de cordeau : elle s'écarte totalement
de la ligne et je crois que c'est au département de la
corriger."
L'épreuve de force a lieu le 24 mars. Le curé constitutionnel désigné par le Directoire du département doit être installé à Baziège. Quand le prêtre arrive devant l'église, il est littéralement lynché par une population en furie et ne doit son salut qu'à un repli chez ESTADENS, poursuivi par la foule qui continue de l'accabler d'outrages15. Il sera hébergé chez ESTADENS pendant quatre jours. Le Département fait appel au 15° régiment de dragons de Noaïlles pour rétablir l'ordre et le 29 mars, le curé peut s'installer dans son presbytère.
Le 17 mai 1792, le Directoire du département destitue la tête du conseil municipal : le maire CLAUZEL, IZARN procureur de la Commune et CABOS officier municipal coupables de duplicité, de tergiversations et de lenteur à exécuter les ordres du Directoire du Département. ESTADENS ne doit pas être étranger à cette décision.
Durant cette période, le Directoire du département dont ESTADENS est l'un des administrateurs a fort à faire avec la mise en place du clergé constitutionnel qui est rejeté un peu partout dans la région16. Il doit aussi s'occuper de la vente des biens nationaux et ESTADENS est même mis en demeure d'apporter, en février 92, des preuves concernant 25 arpents de bois qui lui appartiennent et que le district de Villefranche et la municipalité lui contestent. Il prouve, par un document signé par Catherine de Médicis en 1555, que ces bois de la forêt de St Rome ont bien été vendus et sont bien en sa possession; par conséquent, ils ne peuvent être considérés comme biens nationaux.
Quand la
guerre est déclarée, le 20 avril 1792, les administrateurs
doivent s'occuper de la formation des bataillons de volontaires.
Le 11 juillet, "la partie est déclarée en danger" et
de trois bataillons en février 92, on passe à sept en juillet.
Politiquement,
les idées d'ESTADENS rejoignent celles des Girondins17, révolutionnaires
modérés, même s'ils ne sont pas nombreux à Toulouse.
Le 19 août, le
Conseil Municipal de Baziège demande officiellement l'ouverture
d'un bureau de poste aux lettres et fait appuyer cette demande
par un "citoyen de cette ville membre du Conseil
départemental (ESTADENS) (qui) peut par son zèle et ses
sollicitations protéger cette demande et en obtenir le
succès." Le 1er décembre suivant la commune a obtenu
satisfaction et la boîte aux lettres de Montgiscard est
transférée à Baziège. Jean Constantin Pujol18, maître en pharmacie, en est
nommé secrétaire.
Il faut dire
qu'en août 1792, le moment était bien choisi pour solliciter le
concours d'ESTADENS : il est candidat comme député à la
Convention, la future assemblée qui va remplacer la
Législative. A Rieux, du 2 au 9 septembre, les 711 grands
électeurs de la Hte Garonne élisent douze députés à la
convention dont ESTADENS. Le 12 septembre 1792, le journal
hebdomadaire, Les Affiches de Toulouse, annonce l'élection
d'ESTADENS comme député à la Convention. A Baziège, les
partisans d'ESTADENS exultent. En décembre 92, il existe à
Baziège "une société des Amis de la République"19 dont le
secrétaire est Pujol, par ailleurs directeur de la Poste aux
lettres.
La vie d'ESTADENS, dès ce mois de septembre 92, va devenir parisienne. Il se loge chez un certain ROSSELANGE pour une somme de 150 livres par mois.
Dès le 20 septembre, il participe à la première réunion de la Convention dans la salle du Manège. Les conventionnels appartiennent à la bourgeoisie; plus de la moitié, comme ESTADENS ont été membres des administrations provinciales. Par affinité, il va se fondre dans l'immense troupe des Girondins (160 députés) qui constituent l'aile droite de l'Assemblée.
Pendant le procès du roi (déc. 92/janv 93), ESTADENS suit les consignes de son groupe et ne vote pas la mort du Roi comme six des douze députés de la Hte Garonne. Il se prononce successivement pour l'appel au peuple, pour la réclusion jusqu'à la paix, pour le bannissement, pour le sursis.
Le 7 mars, il
reçoit une demande "des amis de la République" de
Baziège pour changer les dates des foires.
Le 13 avril 1793, il monte à la tribune, comme tous les
Girondins et vote la mise en accusation de Marat20. Marat est acquitté par le
tribunal révolutionnaire et ramené triomphalement à la
Convention par la foule des sans-culottes parisiens le 24 avril.
Encouragés par les Montagnards21, les sans-culottes victimes de la crise économique qui renchérit toutes les denrées, s'agitent à partir du 31 mai. Le 2 juin, 80.000 d'entre eux assiègent la Convention et exigent l'arrestation des députés girondins. Antoine ESTADENS, fut comme tous ses collègues girondins décrété d'arrestation, sous la pression des émeutiers.
Dès le 6 juin, un groupe de 76 députés girondins, parmi lesquels ESTADENS protestent courageusement contre les manifestations des 31 mai et 2 juin. On appela improprement ce groupe, "les 75".
A Baziège, en
pleine crise "fédéraliste22",
on est au courant de la mesure qui vise les députés girondins.
L'assemblée cantonale, réunie le 24 juin 93 dans l'église de
Baziège, à l'unanimité :
- désapprouve formellement la démarche faite par certains
habitants parisiens à l'égard de la Convention?
- demande que tout le décret qui met en arrestation 28 des
membres de la Convention soit révisé et mis de nouveau en
délibération après que la liberté leur aura été rendue.
La Terreur,
période la plus funeste de l'Histoire de France, va s'abattre
sur le pays. Les chefs Girondins vont en être les premières
victimes. Après un procès bâclé, le 10
brumaire An II23 (31 octobre 93), les 21députés
arrêtés le 2 juin sont exécutés.
Le 16
vendémiaire An II (7 octobre 93), ESTADENS est arrêté et
incarcéré à la prison de la Force puis transféré à la
caserne des Carmes.
Il semblerait que
sa charge de maître de Poste, lui ait été enlevée puisqu'au 5
nivôse de l'An II (25 décembre 1793), c'est DUGLA qui le
remplace.
Sur ces mois de prison, on ne sait rien si ce n'est qu'il paie régulièrement le loyer de son appartement à la dame ROSSELANGE. Le groupe des "75" envoie des pétitions à Robespierre pour obtenir sa clémence. 21 compromis dans la révolte fédéraliste périssent de la Terreur, les autres purgent leur peine en prison. Après la chute de Robespierre (9 thermidor An II, 27 juillet 1794), on pouvait s'attendre à une libération des Girondins, mais c'était sans compter sur la haine tenace que leur vouaient les Hébertistes et les Thermidoriens comme Fréon, Rovère, Tallien.
Le 5 vendémiaire de l'An III (26 septembre 1794), un officier de santé des maisons d'arrêt du département de Paris signale qu'ESTADENS a une crise de rhumatismes qui lui occasionne des douleurs violentes, lui ôte le sommeil et dérange son appétit. Cette maladie exige un traitement convenable et surtout des bains chauds sont d'une réussite absolue.
Le lendemain, 6 vendémiaire An III, le Comité de Sûreté Générale tient compte de l'avis de l'officier de santé. ESTADENS, ainsi qu'un autre député de la Haute Garonne, ROUZET24, sont transférés dans la maison d'arrêt de la rue Charonne. Sous bonne garde, ils pourront même passer à leur domicile pour y prendre les affaires dont ils auront besoin.
Le 4 brumaire An III, (25 octobre 1794), une mesure générale de la Convention Nationale accorde à tous les représentants du peuple emprisonnés dans les maisons d'arrêt une liberté provisoire pour rétablir leur santé et vaquer à leurs affaires domestiques. Le Comité arrête que les scellés seront levés dans les appartements occupés par ces représentants du peuple.
ESTADENS
rejoint son appartement parisien, le 8 brumaire (29 octobre 74),
jour où les scellés sont levés.
Le 18 frimaire An III, ( 8 décembre 1794), les exclus du 2 juin
1793 reprennent leur place sur les bancs de la Convention
Nationale.
Le 26 nivôse An III, (15 janvier 1795), ESTADENS demande, comme il en a le droit, le remboursement des frais occasionnés par la garde des scellés de son appartement. Durant une année complète et vingt et un jours, il a payé dix-neuf cents livres à ROSSELANGE. Le ler pluviôse An III, (20 janv. 1795) une somme de 780 livres lui est attribuée à cet effet.
Il fait partie
du Comité des Postes et Messageries qui lui confie le 15 avril
1795, des inspections en France et en Belgique25.
Le 3 brumaire An
IV (25 octobre 95), il est désigné comme ancien conventionnel
au Conseil des Anciens où il siègera jusqu'à la fin de son
mandat au 1er prairial An VI (20 mai 1798).
Durant cette période, on retrouve la trace d'ESTADENS à Baziège. Le 25 pluviôse An IV (14 février 96), il est chez lui et participe à la cérémonie de "l'anniversaire de la juste punition du dernier roi". A la fin de la cérémonie, il prononce un discours dans lequel il remercie les citoyens "de l'avoir élevé au rang suprême de représentant du premier peuple de l'Univers".
Le 30 nivôse An VI (19 janvier 1798), il participe à la cérémonie républicaine glorifiant la Paix de Campo-Formio au milieu "d'un nombre infini de bons citoyens". Le surlendemain, en célébrant la fête d'anniversaire de la mort du roi, on crie en sa présence "Vive la République, vive le général Bonaparte et les généraux défenseurs de la Patrie".
A la fin de son mandat, fin mai 1798, ESTADENS rejoint-il tout de suite son village? Rien n'est moins sûr. On le retrouve à Baziège en novembre 1798 où il met en cause l'intégrité de l'officier municipal GAILHAC qui aurait fait une fausse déclaration pour protéger un prêtre réfractaire. Une enquête est faite par les officiers départementaux et GAILHAC est remplacé dans ses fonctions d'agent municipal par... ESTADENS. Il retrouve à ses côtés, en tant qu'officier municipal, PUJOL.
Tous deux vont
devoir faire face aux évènements insurrectionnels qui se
préparent dans le Midi. Le peuple est désabusé,
l'administration départementale peu efficace, les prêtres
réfractaires encouragent à la rébellion, les royalistes
recrutent. Un peu partout dans le canton, dont Baziège est le
chef-lieu, des arbres de la Liberté sont saccagés, des cris de
"Vive le roi" se font entendre.
Dans la nuit du
18 au 19 thermidor An VII ( 5 au 6 août 1799), les insurgés ne
parviennent pas à s'emparer de Toulouse.
Les nouvelles qui
parviennent à Baziège sont alarmantes : les royalistes vont
s'emparer de la cité. ESTADENS et PUJOL26
organisent la défense : ils font appel à des républicains
dociles qui ont pris les armes et se sont portés au corps de
garde. La tension est à son paroxysme lorsque, au petit matin on
apprend que des villages voisins sont investis par les royalistes
et les républicains pris en otage. On essaie de réquisitionner
des armes auprès de la population, mais sans grand succès. Dans
la nuit, des escarmouches se produisent entre des francs-tireurs
royalistes et les républicains de la garde nationale aux abords
de la ferme d'En Coustaux. Un attroupement de royalistes est
dissipé. La troupe légaliste de Villefranche vient au secours
des baziégeois et est très mal reçue par les habitants, en
grande majorité gagnés à la cause royaliste. Ils refusent aux
soldats républicains le logement et même de l'eau. L'Assemblée
cantonale se sentant en danger décide "pour éviter
l'effusion de sang et pour sa propre conservation" de
se retirer à la suite de la troupe de Villefranche. Elle fait
appel aux bons citoyens pour se joindre à elle. L'exil a duré
huit jours. Le village n'a pas été investi par les bandes
royales. Le 29 thermidor (16 août), les autorités cantonales
sont de retour à Baziège "où les esprits semblent
tranquilles et des forces imposantes sur pied."
La répression sera magnanime et sans effusion de sang. DUGLA, maître de poste qui a remplacé ESTADENS est cité au nombre des conjurés ayant soutenu les royalistes.
Un satisfecit
est donné par l'Assemblée cantonale à ses dirigeants, à PUJOL
et à ESTADENS en particulier "contre qui les premiers
coups étaient dirigés et qui ont pris une grande part dans la
crise pour parvenir à comprimer et à détruire l'élan du
royalisme." Un peu plus loin, "Le citoyen
ESTADENS, depuis son retour du corps législatif , n'a cessé
d'être en lutte contre les aristocrates de toutes les couleurs
et surtout contre les royaux et les sacerdotaux."
Le 25 brumaire An
VIII (16 novembre 1799), on apprend avec grand plaisir,
semble-t-il, l'arrivée de Bonaparte aux affaires. Le 2 nivôse
An VIII (23 décembre 1799), l'Assemblée prend connaissance de
la Constitution de l'An VIII27
"qui doit donner à tous les français le bonheur qu'ils
en attendent".
Le 30 floréal An VIII (20 mai 1800), ESTADENS, maire provisoire, ouvre la première assemblée communale. Ses administrés quoique convoqués individuellement ont tous prétexté des affaires les empêchant d'assister à la cérémonie.
Le 10 messidor
de l'An VIII ( 30 juin 1800), ESTADENS est nommé par le préfet
maire définitif. Mais il annonce à l'Assemblée communale qu'il
a déposé sa démission auprès du préfet. Baziège n'étant
plus sa résidence habituelle, il ne peut accepter cette charge "pour
la raison que ses affaires l'appellent continuellement à
Toulouse où il est obligé de séjourner la plus grande partie
de l'année". Cependant, il restera en fonction
jusqu'à ce que sa démission soit acceptée par le préfet.
En effet, il loge
à Toulouse, au n° 24 rue de la Balance avec son épouse, dame
ROSSELANGE... Depuis quand a-t-il épousé sa logeuse parisienne?
On comprend alors que cette citadine ait préféré vivre plutôt
à Toulouse qu'à Baziège. De là l'explication "des
affaires qui appellent continuellement" ESTADENS à
Toulouse.
Le 25 messidor An
VIII (15 juillet 1800) les rancoeurs royalistes sont encore vives
et ESTADENS est obligé de sermonner des ménagères qui, non
seulement refusent de participer à la fête républicaine de la
pacification de la Vendée, mais qui ont une attitude outrageante
à l'égard des autorités municipales.
Par la suite,
ESTADENS ne se qualifie plus de maire provisoire de Baziège et
continue d'assurer sa fonction.
Durant cette période, il a fort à faire avec les réquisitions,
les conscrits récalcitrants, les déserteurs qui s'évanouissent
dans la nature. Il faut alimenter la machine de guerre
bonapartiste et cela ne va pas sans contestations.
Le 8 prairial
An IX ( 28 mai 1801), ESTADENS "promet fidélité à la
Constitution de l'An IX" comme maire de Baziège.
Il va essayer de
faire le maximum pour réconcilier les baziégeois. C'est ce que
laisse entendre son discours du 18 brumaire An X (9 novembre
1801) à l'occasion de la célébration de la Paix universelle.
Après avoir insisté sur "les expressions les plus
saillantes de la reconnaissance que doivent tous les français
aux héros de la France" il fait sentir au peuple "la
nécessité d'abjurer les erreurs, de renoncer aux anciens
préjugés, de pardonner leurs ennemis, de ne faire qu'à
l'avenir qu'une seule famille de frères" et il a
cherché par tous les moyens qui étaient en son pouvoir "d'éclairer
le peuple sur ses véritables intérêts."
A la fin de la
cérémonie, des cris "vive la paix, vive Bonaparte se
font entendre". On se demande si ces cris sont vraiment
nombreux ou simplement signalés pour la forme car le 4 fructidor
An X, lors de la publication du Senatus Consulte déclarant
Napoléon Bonaparte Consul à vie28,
le maire ESTADENS est seul avec son adjoint et son greffier pour
fêter l'évènement. Après avoir attendu un long moment, ils se
décident à payer de leur personne et d'en faire eux-mêmes la
publication aux deux faubourgs29
et au centre. Il est mentionné sans en préciser le nombre "que
quelques citoyens se sont réunis au cortège".
En germinal et
floréal An XI (avril-mai 1803), il procède à la
réinstallation du clergé dans le presbytère et l'église. Ces
deux bâtiments ont beaucoup souffert30
et doivent être restaurés. Il est à noter que le curé GUYON
officie encore et qu'il est assisté par un autre desservant, le
curé CAMY.
Le 27 germinal An XII (17 avril 1804), ESTADENS est obligé d'aller à Paris en qualité de Commissaire délégué aux collège électoral. Le 14 floréal suivant, son adjoint est nommé par le préfet : il s'agit de CARRATIE jeune.
Le 15 prairial
An XII ( 7 juin 1804), il met en place les registres destinés à
recevoir les voeux des citoyens sur la proposition suivante :
"Le
peuple veut l'hérédité de la dignité impériale dans la
descendance directe, naturelle, légitime et adoptive de
Napoléon Bonaparte et dans la descendance directe naturelle,
légitime et adoptive de Joseph Bonaparte et Louis Bonaparte
ainsi qu'il est réglé par le Senatus Consulte du 28
floréal."
Il y eut 13 votes et 13 votes favorables, ce qui laisse à
penser du peu d'impact des bonapartistes à Baziège.
Le 15 août 180631, ESTADENS
participe à la fête de la célébration de la Saint Napoléon
et de la religion catholique. Des acclamations ont retenti à
plusieurs reprises "Vive Napoléon".
ESTADENS prend ses distances avec la municipalité dont il est le
premier élément et n'assiste plus aux réunions qui gèrent les
affaires courantes et déterminent l'avenir de la commune. Il est
absent le 9 février 1806 pour le Bilan de l'An XIII et le vote
du budget 1807, et le 4 mai 1807 pour le compte rendu
d'administration).
Le 13 septembre 1807, il entre en conflit avec son adjoint CARRATIER qui a pris sur lui, sans en référer au maire, l'ordre de la publication, au son de la caisse, du ban des vendanges32.
Le 17 octobre
1807, à la suite d'un différent entre étalagistes au marché
local, CARRATIER pourtant officier de Police en sa qualité
d'adjoint, refuse de rendre justice disant "que si M. le
Maire voulait des valets, il n'avait qu'à se les payer".
ESTADENS adresse au sous-préfet de Villefranche un
procès-verbal faisant état de l'attitude négative de
CARRATIER.
ESTADENS, usé
par l'âge (il a 66ans), paraît désavoué et adresse fin
janvier une lettre de démission au préfet de la Hte Garonne,
dans laquelle il relate les grands moments de sa vie politique et
notamment son action durant l'insurrection de l'An VII "
A mon retour, en l'An VII dans l'administration du canton pour
lors de Baziège, je n'ai pas été inutile pour arrêter les
progrès de la révolte si effrayante de l'An VII qui eut lieu
dans ce département dont Baziège se trouvait placé au centre du foyer."33
Le 24 janvier
1808, le nouveau Maire de Baziège est désigné : il s'agit de
Pierre Guillaume Jean François CARRATIE qui prête aussitôt
serment.
ESTADENS ne
figurera plus dans la vie politique Baziègeoise.
Il décèdera à Toulouse, le 27 octobre 1814, à trois heures de
l'après-midi, dans son domicile de la rue des Balances, assisté
dans ses derniers moments par son épouse ROSSELANGE34.
Il avait alors
72 ans, ce qui est un grand âge pour l'époque et dans les
derniers mois de sa vie avait vu tout ce en quoi il avait cru
durant sa longue existence s'écrouler : le 10 avril 1814, les
armées coalisées anglo-espagnoles assiègent Toulouse où Soult
s'est réfugié; le 12 avril alors que Wellington entre en
vainqueur à Toulouse, on apprend que Napoléon a abdiqué depuis
le 6 avril; l'entrée triomphale à Toulouse, le 27 avril, du duc
d'Angoulême, neveu du Roi; le retour des Bourbons à Paris le 3
mai. Toutes ces nouvelles avaient de quoi terrasser un homme pour
qui les idéaux de la Révolution étaient primordiaux.
Au petit matin de
l'insurrection royaliste de l'An VII, alors qu'on ne savait pas
du tout comment les choses allaient évoluer et qu'un observateur
impartial aurait qualifiées de désespérées pour les
républicains, il fit inscrire en tête du registre des
délibérations entre les devises républicaines, LIBERTE et
EGALITE, la maxime sans appel : LA REPUBLIQUE OU LA MORT.
Homme ouvert
aux idées nouvelles, il a horreur du sang versé inutilement, il
est tolérant. Révolutionnaire dans la légitimité royale comme
ses amis de la Gironde, il deviendra, après que la Royauté aura
montré sa duplicité et ses limites à appliquer les idées
généreuses, partisan de la République pour qui il est prêt,
en 1799, à donner sa vie pour la défendre.
Il semble qu'il
fut Bonapartiste tant que Bonaparte s'est montré apte à
défendre les acquis de la Révolution; mais le peu de
Baziègeois, alors qu'il était maire, à s'empresser de
reconnaître la dignité impériale de Napoléon peut laisser
penser qu'il n'a pas beaucoup milité dans ce sens même si la
majorité des ses administrés était quelque peu méfiante à
l'égard de la politique de ces temps-là.
Ce patriote de la première heure, homme de dialogue, qui a souffert de la prison et de la proscription pour ses idées, qui a échappé aux purges sanglantes de la Terreur, a toujours été un adversaire farouche de tous les fanatismes qu'ils soient politiques ou religieux, c'est ce qui en fait encore un contemporain digne de notre admiration et de notre respect.
Tirons-le de
l'oubli.
A quand une rue
de Baziège à son nom?
Baziège le 23/12/97
Notes :
3 - Voir "Un village du Lauragais pendant la Révolution" page 16 - FABRE Pierre. Ed Loubatières 1989. |
5 - Voir "Un village du Lauragais pendant la Révolution" pages 22 à 25 - FABRE Pierre. Ed Loubatières 1989. |
8 - le surveillant du despote : au temps des consuls, le juge de Baziège, "l'homme du seigneur", assistait de droit aux conseils de communauté. |
9 - la cour : il faut entendre par cela l'entourage des courtisans mais surtout des conseillers du roi. |
10 - les droits féodaux et les privilèges qui ont été abolis ou déclarés rachetables à partir de la nuit du 4 août 1789. |
11 - L'église de France est en pleine mutation, suite aux décrets de nationalisation des biens du clergé |
12 - Voir "Un village du Lauragais pendant la Révolution" pages 64 - 65 - FABRE Pierre. Ed Loubatières 1989. |
15 - Voir "Un village du Lauragais pendant la Révolution" pages 88 - 92 - FABRE Pierre. Ed Loubatières 1989. |
16 - Voir "La Révolution française dans le Midi toulousain" pages 130-135 de J. GODECHOT. éd Privat 1986. |
18 - Nous reparlerons de Pujol, grand ami d'ESTADENS avec qui il partage les mêmes opinions et qu'il soutiendra lors de l'insurrection royaliste de 1799. |
20 - Marat avait envoté une circulaire aux sociétés révolutionnaires de province, les invitant à exiger le rappel des députés qui avaient tenté de sauver Louis XVI en demandant l'appel au peuple. |
26 - Voir "Un village du Lauragais pendant la Révolution" pages 173 - 199 - FABRE Pierre. Ed Loubatières 1989. |
28 - sur les registres ouverts à la Mairie pour l'inscription des citoyens qui souhaitaient le Consulat à vie, il n'y eut à Baziège que 46 citoyens votants et 46 pour. |
29 - les deux faubourgs de Baziège sont bien entendu, le faubourg du Cers (ouest du village) et celui d'Auta (est). |
32 - au son du tambour de ville, était donné l'autorisation de commencer les vendanges. Ceci pour éviter des chapardages de raisin, délit courant en ces temps. |