La première phase des combats autour de Toulouse

Les forces en présence :
Cliquer sur l'image pour l'agrandir Le Maréchal Soult.

       L'armée française est inférieure numériquement à celle de Wellington ; elle compte environ 36 000 hommes, dont 2 700 cavaliers (1).
       Cette armée manque d'homogénéité avec de vieux soldats rescapés des batailles d'Espagne mais aussi avec 6 à 7000 jeunes conscrits (classe 1815 levée par anticipation et avec beaucoup de difficultés; les déserteurs étaient très nombreux ainsi que les réfractaires et, dans un document conservé aux archives communales d'Ayguesvives, le maire de la localité regrette que parmi les jeunes ayguesvivois on comptât trois réfractaires pour une vingtaine de soldats incorporés à cette date dans les armées napoléoniennes). Le moral était particulièrement bas, depuis le simple soldat jusqu'au maréchal Soult qui observera pendant toute cette période une passivité remarquable; des bruits circulaient sur l'abdication prochaine de Napoléon car, dans la région parisienne les Alliés ont occupé Paris. (Napoléon abdiquera effectivement le 6 avril 1814 à Fontainebleau). Dans le domaine de l'artillerie, Soult avait reconstitué une force redoutable avec les pièces et les munitions récupérées dans les arsenaux de Toulouse; il disposait encore d'une très bonne division de cavalerie commandée par le général baron Pierre Soult, frère du maréchal.
       Du côté des coalisés, l'armée de Wellington devant Toulouse se composait de troupes anglaises, portugaises, espagnoles, ainsi que d'un petit contingent allemand : au total : 53 à 54 000 hommes, dont 7 000 cavaliers et une excellente artillerie; les troupes espagnoles avaient un commandement et une organisation autonome, mais sous le commandement suprême de Wellington.
       L'armée anglaise très bien équipée, moderne, avait des fusils beaucoup plus précis que les fusils français; les Anglais visent beaucoup mieux et cherchent d'abord à atteindre les officiers français. Les Anglais commencent à se coucher sur le sol, ils utilisent le terrain, alors que les Français se battent debout face à l'ennemi, offrant des cibles faciles. Les Anglais creusent le sol, cherchent à s'enterrer pour échapper au feu de l'ennemi. Les gens de Muret avaient été très étonnés de voir que les Anglais faisaient un trou individuel et portaient la terre dans leur shako : "ils creusaient avec la baïonnette et portaient la terre dans leur espèce de bonnet". Les Anglais avaient une artillerie à réaction : les fameuses fusées à la "congrève (2)" qui venaient de l'Inde : un tube de bambou dans lequel on mettait de la poudre. Cela faisait beaucoup plus de bruit que de mal, et les toulousains furent épouvantés par ces fusées à la "congrève".
       L'armée coalisée était divisée en quatre groupes ou corps principaux; le corps du Général Beresford comprenait des divisions mixtes anglo-portugaises; le corps de Picton amalgamait de l'infanterie anglo-portugaise et une brigade de cavalerie allemande. Enfin le corps du général sir Rowland Hill nous intéresse spécialement, car la 2 ème division (général Stewart) inclut la brigade du général Pringla qui comporte les 39 ème, 34 ème et surtout le 28 ème régiment d'infanterie
       Le 28 ème régiment d'infanterie occupera Ayguesvives en avril - mai 1814.
       Cette armée était suivie par un certain nombre de femmes (que nous rencontrerons à Ayguesvives) avec leurs enfants "depuis quelque temps, chaque bataillon anglais à la permission d'avoir avec lui soixante femmes " : ces femmes, anglaises pour la plupart, ou espagnoles, avaient pour office de préparer les repas des soldats et de tenir en état leurs effets. Cette armée ne comprenait que fort peu d'Anglais véritables, mais beaucoup d'irlandais (l'un d'eux trouvera la mort à Ayguesvives) et d'Ecossais ; la discipline s'était fort relâchée depuis la fin de 1813 et il fallut beaucoup d'efforts pour empêcher la maraude et les excès de toute nature qu'elle entraîne; aussi "les vols, les attaques à main armée, les brutalités étaient-ils de règle".
       Dans l'armée française, la discipline était complètement tombée et la troupe se livrait au pillage, les soldats pénétraient dans les habitations "et exigeaient de leurs propriétaires des indemnités pour que leurs maisons soient respectées; la troupe s'est livrée au pillage, rapporte Clerc qu'il excuse en disant qu'il vaut mieux "pour les Français être dépouillés par des compatriotes que par l'ennemi ".

Organisation de Toulouse en camp retranché.

       La ville de Toulouse a été rapidement entourée de fortifications et a pris l'allure d'un camp retranché à la suite des travaux menés depuis le début du mois de mars; protégeant le faubourg St Cyprien, deux lignes de défense furent organisées avec des retranchements, des fermes fortifiées, des redoutes équipées de nombreuses pièces d'artillerie; sur la rive droite de la Garonne, on observe trois lignes fortifiées; la première suivait les boulevards et les vieux murs d'enceinte, la seconde le Canal du Midi depuis les Ponts-Jumeaux jusqu'au Pont des Demoiselles, la troisième sur la butte dominant Toulouse à l'Est (hauteurs de la Pujade, du Calvinet, de Montaudran) avec de grosses redoutes, mais certaines sont inachevées au moment de la bataille principale, comme celle de la Sipière, près de Montaudran.

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Colonne du 10 avril 1814, érigée en 1835 sur les hauteurs
du côté de l'observatoire de Jolimont. La tradition veut que
des soldats anglais et français soient enterrés à son pied.


       Un secteur demeurait mal défendu : l'ancienne vallée de l'Hers, entre la butte de Montaudran et les coteaux de Pech-David (quartiers actuels de Rangueil, de Sauzelong, du Busca, du Pont des Demoiselles); cette zone présentait un rond marécageux très humide, avec des fossés remplis d'eau, des lignes d'arbres (Sauzelong); Soult n'y fit aménager que quelques fortifications sommaires, du côté du Busca; aussi Wellington eut-il l'idée d'attaquer Toulouse dans ce secteur, en venant de l'Est.

L'échec de la tentative de Hill par Nailloux-Villefranche et les combats d'Ayguesvives.
       Le 25 mars, les avant-gardes anglaises attaquent à Tournefeuille et les divisions françaises se replient dans l'enceinte de St Cyprien; la prise de St Cyprien était inutile car il demeurait les difficultés inhérentes à la traversée de la Garonne. Wellington avait le champ libre pour tourner les défenses de Toulouse, soit par le Nord, soit au Sud et à l'Est; c'est d'abord cette direction qu'il choisit avec comme point à occuper Villefranche-de-Lauragais, localité qu'il se proposait d'atteindre après la traversée de la Garonne et de l'Ariège; le général anglais poursuivait par cette manoeuvre trois objectifs principaux; il pensait ainsi empêcher toute jonction entre les forces de Soult et de Suchet, ce dernier toujours immobile à Narbonne et qui ne tentera rien pour venir en aide à Soult; ensuite couper une retraite éventuelle de Soult empruntant la vallée de l'Hers mort (par Castanet, Baziège, Villefranche), enfin attaquer Toulouse en utilisant cette même vallée et en visant les points faibles des fortifications toulousaines (Busca).

La manœuvre de Hill
Cliquer sur l'image pour l'agrandir Le pont de Cintegabelle au début du XX° siècle.

       La manœuvre anglaise par l'Est est confiée au corps du Général Hill (13 000 hommes), la gros de l'armée anglaise demeurant devant St Cyprien; le 31 mars, Hill remonte jusqu'aux villages de Roques et de Pinsaguel, un pont de bateaux est jeté sur la Garonne entre ces deux localités et les Anglais traversent le fleuve sans opposition.
       Puis Hill suit l'Ariège, sur la rive gauche, jusqu'au pont de Cintegabelle, passe la rivière en ce point et se dirige vers le Nord-Est, en direction de Nailloux (par la route de Cintegabelle à Nailloux).
       Les Français ont pris des dispositions pour parer à ce nouveau danger; une division s'installe à Pouvourville sur les coteaux de Pech-David, d'autres troupes prennent position entre Castanet et St Agne; la division du Général Darmagnac placée à Vieille-Toulouse et Pechbusque suit et observe de là toute la manoeuvre ennemie, enfin et surtout pour tenter de localiser avec précision les Anglais lorsque ces derniers se situent du côté de Cintegabelle - Nailloux, "la cavalerie de Pierre Soult est lancée sur les routes de la plaine (vallée de l'Hers) et pousse des reconnaissances jusqu'à Montgiscard, Ayguesvives, Baziège et les environs "; donc la cavalerie française est à Ayguesvives, utilisant de toute évidence les chemins menant d'Ayguesvives à Nailloux et plus spécialement "le grand chemin de Nailloux" (depuis en Palue jusqu'aux Bastards et au Pas de la Mule); les avant-gardes anglaises occupant Nailloux, le contact était inévitable : il s'agit des combats du "champ de la guerre".

Les combats d'Ayguesvives (entre le 1er avril et le 3 avril 1814)
       Ce champ est à proximité de la ferme de Bel Air et s'étend sur le flanc Sud d'une butte élevée (avec actuellement implantation d'une borne géodésique, cote 258,9 mètres) à 400 mètres environ au Nord - Est du château des Bastards; toute la face Est du champ est limitée par le chemin de Nailloux et depuis son point le plus élevé on peut observer vers le Nord - Ouest la ville de Toulouse et vers le Sud le Pas de la Mule (288 m).
       Des ossements humains y furent exhumés encore en 1940 et le souvenir des combats de 1814 est demeuré bien vivant dans la mémoire des autochtones, vieux habitants de la région concernée. La date de l'accrochage avec les Anglais se situe entre le ler Avril et le 3 Avril 1814.

Quelle est l'importance des combats?
       Minime certainement, quant aux effectifs engagés, mais très importante sur le plan stratégique quant à la décision du général Hill de faire demi-tour, de retraiter vers Cintegabelle et d'abandonner le projet de débordement de Toulouse par l'Est.
       Il est très difficile d'évaluer avec une certaine précision les effectifs engagés par les adversaires car les sources, les ouvrages, les témoignages oraux ne nous ont apporté aucune précision ou élément solides .
       Du côté anglais, on est réduit aux hypothèses qui s'orientent dans deux directions : la première, la plus vraisemblable, est l'engagement contre les Français d'une reconnaissance de cavalerie ; la seconde, les Anglais avaient-ils l'intention de marcher sur Toulouse par Ayguesvives, sans faire le détour par Villefranche? Dans ce cas, ils auraient engagé des moyens plus importants, mais cette dernière idée relève de la pure spéculation.
       Le gros de l'armée anglaise est étiré au Sud de Nailloux, car tous les historiens indiquent que seules les avant-gardes atteindront cette localité; bientôt il s'immobilise devant un ennemi imprévu : la boue du Lauragais; les pluies persistantes du mois de mars ont transformé en fondrières et cloaques impraticables tous les chemins de terre, "les carrières", de la région et la lourde artillerie anglaise s'enlise dans la molasse et le terrefort, surtout avec des équipages de chevaux fort mal adaptés à la traction de canons dans la boue; à ce sujet, il est symptomatique que les paysans de la région soient réquisitionnés par les Anglais pour aider à dégager l'artillerie avec leurs attelages de boeufs, nettement mieux adaptés pour évoluer dans le terrefort détrempé que les équipages classiques de chevaux (3).
       Les Anglais protégeaient leur flanc gauche par les patrouilles de cavalerie et vraisemblablement en direction de Toulouse; le combat du "champ de la guerre" fut un affrontement entre détachements de cavalerie; ce qui est certain, du côté français seule la cavalerie pouvait intervenir, l'infanterie étant demeurée à Pouvourville, et l'artillerie à Toulouse; cette opinion est corroborée par la remarque suivante : "Peut-être une autre cause influa-t-elle sur sa détermination (du général Hill) de rebrousser chemin vers le Sud : une patrouille de gendarmerie aperçue sur son flanc gauche, qui lui fit croire, soit que les Français quittaient leurs retranchements de Toulouse pour courir à sa poursuite soit que l'armée de Catalogne (Suchet) venait de s'engager sur la route de Narbonne. Toujours est-il que le mouvement des alliés s'arrêta net. Et le généralissime anglais, dont l'avant-garde venait à peine d'atteindre Nailloux, changea brusquement son plan ". Il apparaît donc que l'accrochage d'Ayguesvives apporte un élément d'incertitude à Hill qui ignore la disposition exacte et l'importance réelle des forces françaises; son armée aventurée et immobilisée dans le Terrefort lauragais. Hill fait demi-tour, repasse l'Ariège à Cintegabelle et rejoint Wellington devant St Cyprien. La tentative anglaise d'attaque Toulouse par l'Est a échoué, Wellington va récidiver par le Nord.
(1) H. GESCHWIND et de GELIS : "La bataille de Toulouse". 1914 Privat avec bibliographie.Retour
(2) Congrève : général anglais (Woolwich 1772 - Toulouse 1828). Il inventa en 1804 la fusée qui porte son nom et qui fut utilisée la première fois au siège de Boulogne en 1806. Il perfectionna la fabrication de la poudre, l'amalgame des métaux et l'impression des couleurs. Il fonda une compagnie destinée à introduire l'éclairage des villes par le gaz et se retira en France.Retour
(3) Ici se place un témoignage oral et direct de M. Maurel Dominique en 1977, nous indiquant que son grand-père avait participé aux opérations de dégagement des canons avec des boeufs de race tarasconnaise; il s'agit d'animaux d'une variété de la race gasconne, de robe blanc-gris, de petite taille, mais très vigoureux et vifs.Retour


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